Ukraine : pour la solidarité, contre la chasse aux sorcières

Le peuple ukrainien qui se bat contre l’agression russe a droit à toute notre solidarité et cela sans la moindre restriction. La condamnation de la guerre nationaliste et impérialiste menée en ce moment par Vladimir Poutine ne souffre aucune réticence. Cela ne se discute pas.

Un procès en sorcellerie, 1692

Faut-il pour autant accepter que l’on mène une véritable « chasse aux sorcières » à l’encontre de ceux qui s’opposent aux discours « va-t-en-guerre » d’une classe politique qui n’hésite pas à instrumentaliser la solidarité avec le peuple ukrainien pour d’évidentes manœuvres politiciennes ou électoralistes ? On l’a vu en France avec la caricature que les candidats socialiste et écologiste ont faite des positions de Jean-Luc Mélenchon qui a le grand tort de les devancer dans la course à la présidentielle. On l’a vu en Belgique avec le déchaînement des représentants des partis traditionnels, toutes tendances confondues, à l’encontre du discours du PTB qui condamne pourtant sans équivoque la guerre menée par la Russie.[1]  Dans cette atmosphère de guerre froide, il ne peut plus être question d’évoquer les responsabilités occidentales dans la crise actuelle sans être aussitôt taxé de suppôt de Poutine. Rappeler les menées américaines et plus largement occidentales pour pousser l’Ukraine à adhérer à l’OTAN (et ensuite, l’abandonner à son sort…[2]) n’équivaut en rien à mettre agresseur et agressé sur le même plan ni à justifier en quoi que ce soit la politique de Moscou. Cette question est fondamentale pour la recherche d’une solution diplomatique. Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand le rappelait il y a quelques jours[3] quand il déclarait « C’était une provocation dangereuse d’annoncer l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN (en plus sans le faire…) ». Provocation dangereuse et inutile, ajoutait Védrine dont on connaît la modération politique et la défense des intérêts européens et occidentaux.

On peut en tous cas espérer que Paul Magnette ne le joindra pas à ceux qu’il assimile désormais au souvenir du pacte germano -soviétique[4]. Le PS est en grande difficulté face au PTB et tente de discréditer la gauche radicale en lui faisant endosser des positions qui ne sont pas les siennes. La polémique a ses exigences et le cynisme a ses ressorts. Pour répondre aux unes et aux autres, le président du PS a endossé les habits de son glorieux prédécesseur, Paul Henry Spaak qui durant des décennies fit des socialistes belges les défenseurs les plus ardents de l’atlantisme[5]. Étrange attitude qui serait indigne si elle n’était pas d’abord ridicule de la part d’un intellectuel qui sait pourtant quelque chose de l’histoire.

Mais il ne faut pas se tromper, au-delà de cette instrumentalisation du drame ukrainien, se dessine un étrange climat ne supportant plus la moindre contestation ou critique. Le concert politique et médiatique unanimiste est à l’ordre du jour : la droite joue son rôle, les socialistes surenchérissent avec l’appui des chevaux légers de l’écologie qui en deux décennies sont passés de leur pacifisme historique à un atlantisme assumé.

L’expression de la solidarité avec le peuple ukrainien comme la condamnation sans appel de la guerre menée par la Russie ont d’autres exigences que ces rodomontades.

 

 

 

[1] Voir : https://www.ptb.be/ukraine_non_la_guerre

[2] En Syrie, les États-Unis ont mené le même jeu vis-à-vis des Kurdes utilisés dans la guerre contre les forces islamistes avant de les livrer à Erdogan.

[3] Entretien sur CNews 25/02/2022. Hubert Védrine rappelait que c’était aussi la position des conseillers américains Kissinger et Brzeziński après la disparition de l’URSS. Sur LCI, le même jour, Védrine ajoutera que « Le Poutine de 2022 est largement notre création ».

[4] Dans une vidéo sur Twitter où il n’hésite pas à déformer les propos de Nabil Bouliki, le représentant du PTB qui avait pris la parole à la Chambre.

[5] Puisque Paul Magnette aime les comparaisons historiques « originales », osons celle-ci. Pour les plus jeunes lecteurs, Paul Henry Spaak (1899-1972), dirigeant socialiste, ancien Premier ministre, plusieurs fois ministres des Affaires étrangères, considéré comme l’un des pères de l’Europe et de l’OTAN et connu notamment pour son alignement absolu sur les positions américaines durant la guerre froide

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15 réponses à Ukraine : pour la solidarité, contre la chasse aux sorcières

  1. Christine Pagnoulle dit :

    Voir le texte d’Anne Morelli, qui condamne elle aussi évidemment l’agression impérialiste voulue par Poutine
    https://www.investigaction.net/fr/anne-morelli-sur-la-guerre-en-ukraine-il-ny-pas-de-places-pour-des-avis-divergents/

    1. DENIS GERMAINE dit :

      Tout à fait d’accord avec l’analyse de Mme Morelli. Tous ces va-t-en guerre US imposent aux autres leur façon de penser. Si bien que Poutine est responsable de tout. Personne et surtout pas notre gouvernement d’incapables ne veut accepter la/les causes du conflit. Toutefois je plains le peuple ukrainien embarqué dans cette guerre fratricide !

  2. Lambert dit :

    L’Allemagne entre dans le conflit de manière armée: tout est dit.
    On recommence la campagne de l’Est.
    C’était l’espoir de Himmler: faire ami-ami avec les « Alliés » contre les communistes !
    Heureusement que, sur ce coup-là, Hitler a été remballé.

  3. Chabian dit :

    Paul Henri Spaak est avant tout un père de la « Guerre froide » imaginée aux USA, avec son discours à l’ONU : « J’ai peur ».
    Il y eut des émeutes de fin de guerre dans beaucoup de pays, et les communistes partagèrent le pouvoir à Paris, à Bruxelles, à Belgrade, etc. Malgré que l’URSS était très affaiblie, les USA et Spaak inventèrent une menace de Moscou et le besoin d’un « rideau de fer », le but étant de déconsidérer les communistes, d’aider l’Allemagne à se reconstruire en priorité, etc.
    De la part d’un socialiste, c’est étonnant. Mais Spaak a été partisan de l’autoritarisme avec De Man, le président du parti qui s’est réfugié en Suisse après guerre, léopoldiste avec De Man aussi, mais ne voulant pas capituler comme le roi, refusant de quitter la France et de partir à Londres durant des semaines, puis s’accoquinant avec les US.
    Et bravo pour cette formule à propos des Ecolos, passés du pacifisme à l’atlantisme !

  4. Marc Levis dit :

    Il faut relire d’urgence le livre d’Anne Morelli, « Principes élémentaires de propagande de guerre ». La première phrase est celle-ci : « Arthur Ponsonby avait déjà remarqué que les hommes d’Etat de tous les pays, au moins dans l’histoire moderne, avant de déclarer la guerre et au moment même d’effectuer cette déclaration, assuraient toujours solennellement en préliminaire qu’ils ne voulaient pas la guerre ». Ca vous dit quelque chose ?
    Comme le disait Kipling, « la première victime de la guerre, c’est la vérité ».
    La deuxième victime, c’est le sens de la nuance, comme le dénonce très justement cet article.
    Je crains donc fort que les trois premières phrases soient très vite oubliées lorsqu’il sera cité …

  5. mike dit :

    L’Otan a répondu à la demande d’adhésion de certains états (et de leurs populations) . Il ne l’a pas imposé (par la force) . C’est toute la différence …

  6. Jacques Aron dit :

    Nous voici revenus à la guerre froide. L’agression russe doit être condamnée, mais Poutine ne fait que reprendre l’obsession sécuritaire géo-politique de la Russie, à ceci près que cet État combine aujourd’hui le capitalisme des oligarques partis avec la caisse, et un appareil politique de défense des frontières nationales constamment menacées au sud par les guerres américaines jamais sanctionnées.

  7. « Le monde libre » : cette expression datant de la guerre froide est de retour. Ce « monde libre » est une escadre dont les USA sont le navire amiral. Quel est le palmarès des USA en matière de liberté ? Au début du XXème siècle, Théodore Roosevelt érigea son pays en gendarme du monde, et en conclut – et dans la pratique – au droit de corriger, y compris par la force, la façon dont les autres pays, notamment d’Amérique Latine, menaient leurs affaires intérieures. Les USA ont mis en place le dictateur nicaraguayen Somoza en 1936, organisé le coup qui fit tomber Mossadegh, Premier ministre iranien qui avait nationalisé l’industrie pétrolière, ont coorganisé le coup de Pinochet au Chili et celui de Videla en Argentine, plongeant ces deux pays dans l’enfer d’une dictature atroce. Les Etats-Unis n’ont pas supporté la proximité du régime communiste de la Grenade, qu’ils ont envahie, ni de celui de Cuba, contre lequel ils ont lancé l’opération militaire ratée de la Baie des cochons. Reagan a soutenu les contras qui tuaient médecins et enseignants et incendiaient les récoltes quand le Nicaragua est devenu sandiniste. Poutine déploie son impérialisme en réplique aux points marqués par ses adversaires près de chez lui. Qu’ont fait d’autre les États-Unis ?

  8. Nadine dit :

    Effectivement, …ne supportant plus la moindre contestation ou critique. Violence verbale reflétant celle saignant pas loin d’ici + le principe du mort/km. Oui, certains mal pris électoralement et JLM, ça fait mal de voir ses chances faiblir. Oui, écoeurant que Macron puisse se prendre pour Kennedy. Mais non « les socialistes ne surenchérissent pas avec l’appui des chevaux légers de l’écologie », même si tu fais des formules médiatiques et des procès sur le dos de la guerre. Les enjeux verts, plus complexes et si durs à défendre, t’ont toujours été étrangers, et ça t’énerve. Mais eux en tous cas ne sont pas enfermés dans une amnésie historique ou une discipline néo-stalinienne décidant au sommet ce qu’il faut dire à la base. Et ni les amnésiques ni toi n’avez idée du poids des contradictions liées à la difficulté de « faire de la politique » autrement qu’en mots bien au chaud dans des postures publiques ou académiques. En outre, ta hargne perso anti-Magnette, votre haine du PS, est polymorphe, y compris fondée sur des liens de famille. Et c’est vrai que ça fait très mal d’entendre dire des conneries touchant à l’engagement de ses proches. Par exemple, je t’interdis de parler du PS comme s’il avait été la chose de Spaak. Il a toujours rencontré des opposants dans ce parti. Y compris mon grand-père maternel Henri Rolin qui, lui, à 82 ans, marchait encore en tête d’une manifestation contre les colonels grecs, 4 jours avant sa mort d’une crise cardiaque en avril 1973. Alors redeviens, redevenons un peu plus humain. Et c’est une sorcière comme les autres qui te le dit.

    1. Hugues Le Paige dit :

      En général, je bannis le insultes personnelles, mais il y a des textes éclairants sur ceux.celles qui le commettent…

      PS Précision : l’autrice de ces insultes est Nadine Gouzee. Dans ce cas un prénom ne suffit pas.

      1. Nadine dit :

        Effectivement.

        1. Nadine dit :

          Gouzée-Rolin même, chargée pendant de longues années du secrétariat du Comité du Premier mai pour les libertés démocratiques et les droits des travailleurs dans les Pays de l’Est. Ceux qui se sont intéressé à ces enjeux n’avaient pas besoin de mon patronyme. Effectivement il y a des textes et des réactions très éclairantes sur leurs auteurs.

  9. leon ernst dit :

    Le PTB est dans la même position que la Chine: en pleine schizophrénie. Prouver le plus et son contraire.

  10. Bernard Juncker dit :

    Je me considère comme un atlantiste prudent, voire suspicieux, souvent critique à l’égard de la stratégie américaine en matière de politique internationale.

    Neanmoins, à la lecture des posts précédents, il me vient quelques réflexions, dictées essentiellement par le bon sens et étayées par la lecture de quelques articles.

    À l’époque de la guerre froide, les forces militaires du pacte de Varsovie comprenaient des forces conventionnelles ET des ogives nucléaires. Elles menaçaient directement l’Occident depuis la Hongrie ou la Tchécoslovaquie. Après la chute du mur, Il est indéniable que l’OTAN a reculé sa frontière de quelques centaines de kilomètres vers l’est, profitant d’un retournement d’alliance des anciens pays frères de l’URSS. Ces pays ont rejoint l’OTAN pour se prémunir de l’emprise soviétique. Ils ne l’ont pas fait sous la contrainte. Après avoir été les oppresseurs des libertés individuelles des Tchèques, des Hongrois et des Polonais (entre autres), les Russes ont aujourd’hui beau jeu de se poser en victimes de l’expansionnisme américain. Il me semble qu’ils sont les premiers à avoir creusé le fossé qui leur sert a présent de tranchée de survie.

    En ce qui concerne l’Ukraine, il est indéniable qu’il y existe un mouvement néonazi. Mais d’où vient-il? La méfiance de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie est ancré profondément dans son histoire. Rappelez-vous Staline qui, entre 1931 et 1933, fait main basse sur le blé ukrainien pour faire rentrer des devises à l’exportation. Il en résulte une famine dont on estime actuellement qu’elle aura fait entre 3 et 6 millions de morts, rien qu’en Ukraine. On peut imaginer dès lors que les troupes nazies aient été accueillies en libérateurs au début de l’opération Barbarossa par une partie de la population ukrainienne. Ce que l’on a appelé “l’holodomor”, l’extermination par la faim, est encore vécu actuellement par les ukrainiens comme un génocide, un fait historique qui ne peut que résonner tragiquement dans le contexte actuel.

    Enfin, contrairement à Tom (Goldschmidt), je ne me résous pas à renvoyer dos à dos les deux puissances en les confrontant à leur expansionnisme respectif. Il y a d’un côté une dictature menée par une poignée d’oligarques multimilliardaires, qui assassine des journalistes et des emprisonne des opposants, et de l’autre une démocratie, en mauvaise santé certes, mais dont les dirigeants sont élus tous les quatre ans par le suffrage universel. Entre les deux, mon choix ne fait aucun doute.

    1. Tom Goldschmidt dit :

      Mon propos n’est pas la démocratie mais le positionnement des USA quant à la démocratie. Cela dit, 1. cette démocratie est très limitée : par sa formule électorale préhistorique (Clinton avait reçu plus de voix que Trump), par le pouvoir de l’argent notamment dans les partis, et par le poids inavoué qu’y tient le racisme. 2. La Russie serait, selon vous, « une dictature menée par une poignée d’oligarques » et les USA une démocratie. Si une démocratie se reconnaît avant tout par l’expression de la volonté populaire, la Russie n’est pas une dictature : « En février 2022, environ 70 % des Russes approuvaient les activités du président russe Vladimir Poutine ». Le niveau de popularité a connu une augmentation depuis novembre 2021. » (https://fr.statista.com/statistiques/1293372/poutine-taux-approbation-russie/) – Biden peut-il en dire autant ? – et sa cote augmente depuis l’invasion de l’Ukraine. (Quant au poids des oligarques, les USA se défendent pas mal non plus). Cela dit, pour moi, l’attitude de Poutine vis à vis de toute opposition fait de son pouvoir un pouvoir dictatorial. Et je n’ai pas parlé d’expansionnisme, mais du fait que depuis des décennies, Washington s’est arrogé le droit de mettre en place par la force une série de dictatures particulièrement sanglantes, au mépris surtout de choix démocratiquement exprimés dans les urnes par les citoyens des pays concernés. Un régime qui, hors de ses frontières, piétine la démocratie et installe mort, disparitions et torture est-il un régime démocratique ?

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