Italie : le bleu et le jaune

Il a bien fallu 48 heures pour prendre la mesure d’un vote historique qui a bouleversé le cadre politique italien comme jamais aucun scrutin ne l’avait fait depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les commentateurs abasourdis cherchent encore des mots qu’ils ne trouvent pas pour tenter d’expliquer le grand chambardement. Ezio Mauro, directeur de la Repubblica [1]    choisit              l ’expression ambiguë de “grande substitution”[2]. Ce n’est pas, écrit-il, comme à l’époque du Berlusconisme “un bloc social qui décide porter ses intérêts au sein du jeu institutionnel, ce n’est pas une classe qui aspire à guider la chose publique. C’est à la fois plus basique et universel. Et nous en sommes arrivés là, ajoute-t-il, parce que la politique a épuisé quelque chose de fondamental qui l’a animée durant tout le XXe siècle : générer de l’espoir.” Et naturellement, cet épuisement-là est d’abord celui de la gauche.

Mais c’est la carte électorale qui éclaire le mieux la portée de l’évènement : une Italie désormais coupée en deux. Une moitié Nord qui s’étend vers le centre en bleu, la couleur de la droite radicale et nationale de la Lega[3]. Et une moitié Sud en jaune, le symbole du M5S qui couvre tout le Mezziorgiorno avec des scores jamais atteints depuis la disparition de la Démocratie Chrétienne. Et cette moitié-là correspond exactement à la carte du chômage massif des jeunes. Plus le chômage est élevé, plus le score des Cinque Stelle est haut. La rage sociale secoue les entrailles de la société, mais elle n’a pas produit de mouvement social et la gauche n’en est plus l’incarnation. Cette rage s’exprime d’abord dans un ressentiment politique que les populismes de natures diverses ont exploité et canalisé. Du rouge, il ne reste désormais que quelques traces en Toscane et en Emilie Romagne. Et encore, la Toscane rouge a perdu des dizaines de bastions arrachés aussi bien par la Lega que par les Cinque Stelle. Seules, désormais, les régions de Florence et Sienne résistent tant bien que mal.

Mille événements illustrent ce cataclysme. À Pesaro dans les Marches, anciennes terres démocrates-chrétiennes, mais passées depuis longtemps à gauche, le ministre PD de l’Intérieur se présentait dans une circonscription imperdable. D’autant que Marco Minniti est une des figures les plus populaires du gouvernement sortant et qui, de plus, avait donné des gages à la droite menant une politique très dure en matière d’immigration. Rien n’y a fait. Balayé, Minniti ! Il obtient 27,7 % battu par un candidat fantôme des Cinque Stelle (35 %) qui, désavoué par son mouvement pour non-remboursement de ses indemnités, n’a même pas fait campagne. Et comme si cela ne suffisait pas, le ministre PD a aussi été devancé par le candidat de la Ligue (31,5 %). À Pesaro, terre de gauche, les deux mouvements populistes totalisent plus de 66 % des suffrages. À Ferrara, en plein cœur de l’Émilie, un autre ministre PD, Dario Franceschini, a connu la même aventure face à un candidat de la Ligue. On pourrait ainsi multiplier les exemples qui racontent la débâcle du PD, mais aussi de la gauche alternative.

Et pendant ce temps, Matteo Renzi qui porte une lourde part (mais pas exclusive) dans la défaite de son parti s’accroche au pouvoir en annonçant une démission… mais pour plus tard. Et le PD de se déchirer sur son organisation et sur la stratégie à adopter dans les futures négociations (notamment vis-à-vis des Cinque Stelle). Visiblement de ce côté-là, la remise en question n’est pas à l’ordre du jour.

 

 

[1] La Repubblica 7 mars 2018

[2] À ne pas confondre avec la même expression utilisée à propos des robots qui se substitueraient aux travailleurs, ni avec la théorie conspirationniste et d’extrême-droite du « grand remplacement ».

[3] Il faut arrêter, comme le font quasi tous les médias  de parler de « coalition de centre droit ». La coalition mise sur pied par Berlusconi avec la Lega e les Fratelli d’Italia (ex-fascistes) n’a jamais eu une coloration de « centre droit », mais au contraire celle d’une droite radicale et proche pour certains de ses membres de l’extrême-droite. La nouvelle hégémonie de la Lega ne fait que confirmer la tendance.

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