Italie : les temps seront sombres…

Mercatale VP, 5 mars 2018

Finalement, hier soir à 23.00 heures, nous étions encore une poignée (« quatro gatti » — quatre chats — comme on dit ici), à la Casa del Popolo pour découvrir la catastrophe annoncée. Une fois constatés les dégâts prévisibles, mais d’une ampleur insoupçonnée, chacun s’en est allé dans la nuit pluvieuse de Mercatale. Une défaite encore, et des temps sombres qui s’annoncent…

L’axe politique de l’Italie n’a jamais été aussi à droite depuis la chute du fascisme et la débandade de la gauche (toutes versions confondues) est sans précédent. Le cadre politique est inédit : on vivait sous un régime tripolaire         (centre droit, centre gauche, M5S), on passe à un système bipolaire… entre deux forces populistes qui se partagent le Nord et le Sud du pays. Salvini a réussi son pari de transformer la Lega, son parti régionaliste en formation de droite radicale, nationaliste et raciste. Il détrône Berlusconi dans le camp de ce que l’on appelle encore erronément le « centre droit ». Tandis que s’achève le cycle du Cavaliere (qui lui a été utile pour donner à la coalition — un comble — un gage provisoire de « respectabilité » européenne), Salvini peut prétendre au pouvoir ou, en tous cas, tenter de construire une majorité, comme leader de la principale coalition (36 %).

Les Cinque Stelle sont les grands vainqueurs du scrutin, au-delà de toutes les prévisions (32,6 %). Luigi Di Maio (31 ans), adoubé par Beppe Grillo, a, lui aussi, réussi son pari de faire du M5S une force victorieuse — le premier parti italien — qui peut prétendre gouverner. Di Maio dont l’objectif est de faire « la révolution libérale que Berlusconi n’a jamais voulu faire » avait déjà, durant la campagne brisé le tabou du refus des alliances. Ce matin, il l’a répété sans équivoque : le MSS est prêt à discuter avec toutes les forces politiques, mais à ses conditions (de fond et de forme). Son populisme antisystème et transversal (qui a aussi de forts accents anti-immigrés) n’est pas incompatible avec celui de la Lega. Si celle-ci a réussi à agréger un bloc social autour des petits entrepreneurs et des classes moyennes appauvries du Nord et, progressivement du Centre, le M5S domine d’une manière écrasante le Sud recueillant l’adhésion massive des jeunes précaires ou sans-emploi, séduits par la promesse d’un « revenu de citoyenneté » (revenu universel). Construire une majorité sera extrêmement compliqué (sinon impossible), mais comme aucune force politique ne peut gouverner seule, on ne peut exclure cette alliance M5S-Lega qui sentirait le soufre, mais qui reflèterait le résultat du scrutin. De toute manière, il faudra attendre le calcul des sièges pour tenter d’y voir plus clair.

Le PD est quant à lui, à son minimum historique (moins de 20 %). C’est une lourde défaite politique (son tournant social-libéral et son choix implicite d’une grande coalition avec Berlusconi) et personnelle (sa gestion du PD au profit de ses seuls proches). Renzi démissionnera cet après-midi de son poste de secrétaire générale du PD. Mais la crise est totale, car la gauche alternative fait encore moins bien : Liberi e Uguali dépasse de peu le seuil électoral (3,3 %). Le choix d’un leader institutionnel (le président du Sénat), les ambiguïtés politiques, l’assemblage d’appareils sans lien réel avec le terrain social expliquent cet échec retentissant. Quant à la gauche radicale de Potere al Popolo avec à peine plus de 1 %, elle confirme d’emblée sa marginalité. Tout est à refaire à gauche[1] : si elle en a la volonté, elle en aura, en tous cas, le temps…

[1] Je renvoie à mon enquête sur la crise de la gauche italienne («Italie : la disparition d’une gauche modèle ») publiée dans le n° 103 (mars 2018) de Politique.

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