Italie : L’embellie Schlein

« Encore une fois, ils ne nous ont pas vus venir… » : pour saluer son élection à la tête du PD (Partito Democratico), Elly Schlein a cité sa phrase fétiche qui marque les étapes de sa vie politique[1]. « Ils “: les hommes, les dirigeants du PD, les éditorialistes bienpensants, ceux qui ne pouvaient concevoir une remise en cause radicale du PD en particulier et du mode de faire la politique, en général. Élection surprise (même si elle était dans le domaine du possible) qui est le résultat d’une forte mobilisation des jeunes (en particulier des femmes) et de bon nombre de ceux qui s’étaient détournés du PD et des urnes. Ces primaires ont attiré plus d’un million de votants.[2] La native de Lugano qui s’est engagé dans les mouvements (féministe, écologiste, citoyen) plus que dans les partis avait fait son retour au PD précisément pour briguer ce mandat de secrétaire du PD abandonné par Enrico Letta après la défaite électorale de septembre dernier. Schlein a su réveiller un parti en crise profonde et surtout (r) amener à lui — ou moins pour le temps d’un vote — celles et ceux qui désespéraient de sa ligne sociale libérale ou, comme les jeunes précarisés, qui ne se sentaient plus représentés par un parti dont la moyenne bourgeoisie urbaine était devenue l’épicentre sociologique. Son rival, Stefano Bonaccini, le gouverneur de l’Émilie Romagne qui était donné favori et ne s’écartait que peu de la ligne traditionnelle du PD l’a reconnu sans ambages : ‘Elle a été plus capable que moi de donner un sens au renouveau dont le PD a besoin’.

Elly Schlein l’emporte avec 53,8 % des voix contre 46,2 % à son concurrent. Les primaires populaires (ouvertes à tout électeur s’acquittant d’un droit de vote de 2 €) ont donc renversé le rapport de force que les sections du PD avaient d’abord installé en choisissant Bonaccini. Ce qui n’est sans poser de problème pour le fonctionnement du parti, notamment en ce qui concerne la légitimité du pouvoir de ses membres même si la prééminence du vote populaire avait été acceptée par tous. Il n’empêche que la nouvelle secrétaire du PD — la première femme à occuper ce poste — devra veiller à reconstruire l’unité d’un parti qui depuis des décennies est le théâtre d’un combat des chefs de ‘courants’. L’indispensable unité politique et idéologique du parti n’est pas gagnée d’avance. C’est un euphémisme. Parallèlement à l’élection de la nouvelle direction, une commission a rédigé une nouvelle ‘charte des valeurs’, mais sans abroger l’ancienne qui originellement avait installé le PD dans une ligne sociale libérale.

Hier soir, dans sa première déclaration après son élection Elly Schlein a tenu — et répété — des propos qui ancrent résolument le Pd à gauche. Sur les droits civils, le salaire minimum, la lutte contre les inégalités et la précarité (en réinstaurant des emplois stables), contre la privatisation rampante des soins de santé, pour une autre politique migratoire (le jour même où 59 migrants se noyaient près des côtes italiennes et alors que le gouvernement Meloni vient de prendre des mesures pour contrarier les sauvetages humanitaires) : sur tous ces sujets, elle a réaffirmé le programme qu’elle avait défendu durant sa campagne. Et elle l’a précisé : ‘Je serai la secrétaire de toutes et de tous, de toutes les cultures et les histoires du parti, mais sans renoncer à donner une direction claire’. C’est bien un défi (parmi d’autres) qui attend la jeune femme. Car, on l’a vu, ses soutiens les plus importants et les plus convaincus sont venus majoritairement des électeurs ‘extérieurs’ au parti. L’instauration d’un véritable débat interne débouchant sur une clarification politique, la composition de la direction du parti, la question des alliances (notamment avec les Cinque Stelle) et la construction d’une opposition dure et crédible au gouvernement d’extrême droite : la tâche est immense et semée d’embûches. Mais il faut le dire : une lueur éclaire la nuit de la gauche italienne. La première depuis de longues années. Pour que l’embellie devienne enchantement, il faudra la conjonction de bien des combats victorieux. Elly Schlein a des atouts pour les mener et tenter d’éviter les pièges qu’‘amis’ et ennemis  vont dès à présent lui tendre. . Il est important qu’il incombe à une femme de 38 ans, forte de sa personnalité, de ses convictions et de son autonomie de relever ce défi.

[1] Voir le Blog-Notes du 25 février : https://leblognotesdehugueslepaige.be/italie-les-primaires-du-pd-perverses-et-a-enjeu/

[2] C’est évidemment moins que les 3,5 millions d’électeurs pour les primaires de 2007 et le 1,6 million en 2009. Mais c’est beaucoup dans le contexte actuel d’abstention record.

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3 réponses à Italie : L’embellie Schlein

  1. Lejeune Charles dit :

    Voilà une très bonne nouvelle, dont tu avais d’ailleurs laissé entendre la possible émergence dans ton précédent billet.
    Espérons que ce vote d’une base de la jeunesse et des « extérieurs au parti » ne soit pas qu’un « momentum » protestataire et sans lendemain! Faire du PD le creuset d’une gauche de combat serait un clin d’oeil amusant de l’histoire. Mais cela se passe en Italie..

  2. Daniel Soil dit :

    enfin une perspective ! merci déjà, Hugues, de la suivre de près 🙂

  3. Nadine Pollain dit :

    Merci pour vos analyses toujours claires et intéressantes de la politique italienne

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