1965-2017 Histoires de Présidentielles ( 3. 1974 L’affrontement prometteur)

En cette soirée du 2 avril 1974, les promeneurs de l’Ile Saint Louis ne se doutent de rien. Le quai de Béthune est aussi calme que d’habitude, seuls deux policiers en faction devant le numéro 24 rappellent que le président de la République y réside. C’est là, à 21.00, que Georges Pompidou meurt des suites d’une leucémie d’un type très rare. Un bref communiqué publié dans les minutes qui suivent apprend la nouvelle aux Français.

Ce soir-là, Quai de Béthune, la présence policière et médiatique restera discrète. Autre temps, autres mœurs. De même, l’état de santé de Georges Pompidou était resté secret. Même si les images d’un homme ravagé par la douleur et les traitements avaient fait le tour du monde et annonçaient une issue fatale, les communiqués médicaux s’évertuaient à parler de « grippes persistantes ». Pour la première fois, donc, sous la Ve République, la mort d’un président en exercice provoquait une élection anticipée.

Le septennat interrompu n’aurait pas dû prendre de court les successeurs possibles ou autoproclamés. Pourtant aucun des prétendants ne s’était préparé à entrer en campagne aussi rapidement. La situation est très différente dans les camps de la droite et de la gauche. François Mitterrand s’imposera comme le candidat naturel de l’opposition. Au sein de la majorité, par contre, pour s’affirmer, Valéry Giscard d’Estaing devra vaincre de sérieuses rivalités. La campagne sera passionnée et passionnante. Les enjeux de fond y seront débattus et aucune élection présidentielle ne se soldera par une différence de voix aussi serrée alors que le taux de participation sera particulièrement élevé.

Trop plein à droite

A droite, c’est le trop plein. Parmi les « barons du gaullisme », Jacques Chaban Delmas se précipite. Le député-maire de Bordeaux est le premier à annoncer sa candidature, le 3 avril, alors même que l’hommage à Georges Pompidou n’est pas encore achevé. Dans la foulée Edgar Faure, Christian Fouchet, deux autres personnalités de la majorité se déclarent.

Devant cette profusion, le dernier Premier Ministre de Pompidou, Pierre Messmer accepte sans enthousiasme d’être le potentiel candidat « d’union ». Récusé. Dès lors, la voie est libre pour Giscard qui peut annoncer le 8 avril depuis sa mairie de Chamalières qu’il veut « regarder la France au fond des yeux ».
Giscard est ministre depuis 1962. Avec les Républicains Indépendants, il incarne l’aile libérale moderniste de la majorité. En 1969, il se prononce pour le « non » au referendum gaulliste et cultivera ensuite sa différence. Giscard, le plus jeune des candidats, se veut le porteur du « libéralisme avancé », [[Voir René Rémond, « Notre siècle », tome 6, 1918-1988, Fayard, p769 sqq.]] un mélange de libéralisme classique sur le plan socio-économique et de réformisme sur le plan sociétal. Il sera notamment l’initiateur de la dépénalisation de l’avortement portée par Simone Veil et adoptée avec les voix de l’opposition contre une large part de sa propre majorité. En attendant Giscard veut se situer au centre droit contre « l’extrême-gauche » du programme commun. Il rassemble rapidement les différentes familles centristes mais, s’il veut l’emporter, il doit s’assurer le concours d’une partie au moins des gaullistes.

Jacques Chirac va le lui offrir avec le « Manifeste des 43 ». Ces députés et parlementaires majoritairement UDR abandonnent Chaban et apportent de fait leur soutien à Giscard. Chaban et son projet de « nouvelle société » (qui lui avait déjà valu d’être écarté comme chef de gouvernement par Pompidou) sont considérés par les Chiraquiens et l’aide droite des gaullistes comme trop à gauche. Chaban, trahi par les siens, va se traîner dans les sondages d’autant que sa campagne est obérée par une accusation de fraude fiscale. Chirac qui était par ailleurs convaincu de la défaite inévitable du « Duc d’Aquitaine » comme on l’appelait, prépare son avenir. Il sera le Premier Ministre de Giscard.


A gauche, un candidat incontestable

A gauche, le paysage a bien changé depuis 1969. François Mitterrand est sorti du purgatoire. Contre vents et marées il a maintenu son double credo qui sous-tendait déjà sa candidature de 1965 : la gauche ne peut gagner qu’unie avec les communistes mais la victoire n’est possible que si les socialistes deviennent majoritaires au sein de l’union. Il l’affirme sans ambages dans « Ma part de vérité » qu’il publie en 1969 : « Pour reprendre aux communistes le terrain perdu, il fallait s’ancrer résolument à gauche. »[[ François Mitterrand, « Ma Part de vérité – de la rupture à l’unité », En toute liberté, Fayard, 1969, p79.]] Mitterrand va s’y attacher en trois temps. En 1971, à Epinay, avec une majorité hétéroclite qui regroupe la droite et la gauche du parti, il devient le premier secrétaire du nouveau PS qui prône « la rupture avec le capitalisme ». En 1972, il signe le programme commun de gouvernement avec le PCF et les Radicaux de gauche tout en affirmant dès le lendemain qu’il s’agit d’asseoir la suprématie du PS. Et dès mars 1973, les législatives marquent une poussée de la gauche, principalement au profit des socialistes.

Dès lors, en 1974, Mitterrand est donc un candidat commun indiscutable même si, comme en 1965, il garde les mains libres à l’égard de ses partenaires communistes. La dynamique du programme commun est à son apogée. Ses mesures socio-économiques (hausse des salaires et des retraites, réduction du temps de travail, réformes de structures, nationalisations) sont au centre de tous les meetings qui rassemblent une gauche enthousiaste. L’équipe du candidat commun de la gauche intègre aussi (mais discrètement), Michel Rocard qui a difficilement convaincu ses amis du PSU de ne pas présenter de candidature. En face, Giscard qui défend « le changement dans la continuité » et charge ses lieutenants d’entretenir un anticommunisme virulent rassemble, lui aussi, des foules nombreuses. Le marketing électoral et les conseillers en communication font leurs premiers pas. Ce sont eux qui inciteront Giscard à jouer de l’accordéon devant les caméras ou à faire figurer sa famille sur ses affiches électorales.


La place des nouveaux

Ce premier tour de la présidentielle fera connaître de nouveaux candidats qui entament, pour certains, une longue carrière électorale. A l’extrême droite, Jean Marie Le Pen se présente pour la première fois au nom du Front National, créé en 1972. La trotskyste de Lutte Ouvrière, Arlette Laguiller – et ses célèbres adresses « Travailleuses, Travailleurs… »- inaugure la première de ses six candidatures à l’Elysée. Tandis que par la sienne, l’agronome René Dumont pose le geste fondateur de l’écologie politique.

Après une campagne animée et très suivie, le 5 mai, le verdict du premier tour tombe : 43,25 % pour Mitterrand, 32,10 % pour VGE et 16, 11 pour Chaban. Le face à face annoncé aura lieu. Si cette troisième élection présidentielle au suffrage universel confirme la bipolarisation de la vie politique française, les deux candidats savent aussi que ce type de scrutin se gagne aussi au centre.


« Ne soyez pas tristes… »

La campagne du second tour cristallise les oppositions. Meetings fiévreux et débats crispés : cette fois, la gauche pense que la victoire est à sa portée. Le duel télévisé constitue le sommet de l’affrontement, même s’il est toujours difficile d’en mesurer les conséquences sur le vote des indécis (les seuls que le débat peut véritablement influencer). Si l’ensemble du débat est équilibré, les commentateurs retiendront les « petites phrases » de Giscard : « Monsieur Mitterrand, vous êtes l’homme du passé » ou « Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Ont-elles fait la différence ? C’est peu probable même si le monde médiatique aime à le penser. Toujours est-il que le 19 mai, le résultat le plus serré de l’histoire de la Ve République donne la victoire à Giscard : 50,81 contre 49,19 à Mitterrand, 400.000 voix de différence sur près de 27 millions de votants. On épiloguera sur les raisons de cette courte défaite. Il en est une qui semble déterminante : au sein de la gauche, les socialistes n’ont pas encore suffisamment pris le pas sur leurs partenaires communistes. Question de temps… Claude Estier, le fidèle lieutenant, raconte qu’au lendemain de la défaite, Mitterrand est venu à sa permanence à la Tour Montparnasse. « Nous étions tous un peu tristes, dit Estier. Il est arrivé tout à fait serein et il nous dit : Mais ne pleurez pas, ne soyez pas tristes, la victoire est inéluctable… »[[ Olivier Duhamel, Jean-Noël Jeanneney, « Présidentielles, les surprises de l’histoire, 1965-1995, Seuil, 2002, p 139]]

Prochain épisode 4. 1981 : « Mitterrand du soleil »


Pour mieux comprendre l’histoire, le contexte et l’actualité de la campagne présidentielle, il faut lire le numéro spécial France de Politique : http://politique.eu.org/skeleton/nu…

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