« Sacro GRA », Sacré Rosi

« Nous ne sommes pas suffisamment préparés pour combattre une telle organisation …et ils parlent entre eux, cette rumeur à un sens synonyme de destruction… » dit le botaniste à l’écoute des insectes mortifères qui envahissent les palmiers qu’il essaie de sauver. Le botaniste ausculte les palmeraies qui poussent en contrebas du GRA, le Grande Raccordo Anulare, le périphérique de Rome où se déversent chaque jour des dizaines de milliers de véhicules engagés dans une course sans fin. Armé de ses instruments scientifiques sophistiqués, fabricant des antidotes, résolu à combattre mais sans illusions et dans une solitude totale, l’homme incarne peut-être la lutte désespérée contre la toute-puissance de la mafia ou l’impuissance face à un berlusconisme toujours rampant ? Peut-être. Il nous parle, en tous cas, de l’Italie contemporaine [[Voir également à ce sujet mon article « Filmer le Vide » dans le prochain numéro de Politique (n° 85) qui sort le 1er mai]] et il est, l’un des personnages clefs du film de Gianfranco Rosi, « Sacro GRA » qui est sorti en salle cette semaine en Belgique.

Gianfranco Rosi, dont le documentaire a été couronné par le dernier Lion d’Or à Venise, est un cinéaste parcimonieux – 5 films en près de 20 ans – mais l’expression « cinéma en immersion » semble avoir été inventée pour lui. Tous ses films sont le résultat d’une longue et profonde (en)quête en personnages. Dans « Below sea level » (2008) ou « El Sicario Room 164 »(2010), qu’il s’agisse d’un tueur à gage mexicain pour le second ou, pour le premier, des marginaux américains exilés dans le désert du Nouveau Mexique, Rosi façonne une relation très particulière avec ceux qu’il filme. Elle n’est pas toujours sans ambiguïtés mais aboutit finalement à l’objectif rêvé de tout documentariste : la « bonne distance » fruit d’une confiance réciproque mais où chacun préserve son indépendance. Le résultat est encore plus frappant avec « Sacro GRA ».


Le « palmologue » emblématique

A côté du « palmologue » emblématique, on trouve un pêcheur d’anguilles établi sur le Tibre, un aristocrate d’opérette qui loue son château , sorti tout droit des décors de Cinecitta, pour la réalisation de romans photos, un ambulancier à l’humour tendre qui sillonne la nuit et porte secours à de misérables guerriers de la route en perdition, quelques prostitués felliniennes hors d’âge, un intellectuel et noble turinois et sa fille étudiante réfugiés dans un HLM et dans leurs conversations : un monde qui n’en est pas vraiment un et où chacun semble s’être sauvé dans la marginalité. Autant de personnages ordinaires qui sous le regard de Rosi construisent une étrange dramaturgie des temps modernes à travers la géographie humaine du périphérique romain – le Sacro GRA-.


Filmer l’intimité sans intrusion

Sur le plan filmique – photo et cadrage – Rosi est au sommet de son art. La « ronde » autour du GRA est impressionnante de maîtrise. L’utilisation d’une grue qui filme de l’extérieur, (notamment) en plongées et contre plongées, les logements de certains protagonistes nous introduit étrangement dans l’intimité des protagonistes mais sans que l’on ressente une moindre intrusion. Dans ce film, à travers leur diversité et leur étrangeté, les personnages sont d’abord des personnes respectées à qui le réalisateur offre une nouvelle dimension. Gianfranco Rosi réussit là son meilleur film.

Le GRA sous les nuages…
« Il cielo, la terra finisce e là comincia il cielo
La terre finit ici et là commence le ciel », chante Lucio Dalla sur le générique fin du film
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