« Vive la politique ! », c’était le titre d’un petit essai[[« Vive la politique », Hugues Le Paige, Labor, collection « Quartier Libre », Bruxelles, 2003]] que je publiais il y a près de 10 ans déjà et qui se voulait, comme son titre le signifie, un éloge de la politique à une époque où celle-ci était vilipendée et où le néo-libéralisme avait déjà imposé dans les esprits la prédominance des marchés sur l’action publique. N’était-ce pas d’ailleurs Anthony Giddens, le mentor de Tony Blair qui considérait alors « le fait d’ignorer la politique comme un bienfait du marché ». Je citais, en ouvrant l’ouvrage, cette belle définition de la politique proposée par Daniel Ben Saïd (qui nous manque cruellement dans la réflexion et le débat) : « La politique est aussi et peut-être d’abord (…) un art du conflit, une organisation du rapport social conflictuel dans l’espace et dans le temps. Un art de faire bouger les choses (de modifier les rapports de force et de briser la ligne du temps. On rejoint ici, ajoutait-il, l’art du possible, non au sens possibiliste d’un réalisme gestionnaire, mais au sens d’un choix nécessairement conflictuel entre plusieurs avenirs ou plusieurs futurs ouvert ».
Et bien, quoiqu’on ait dit de cette campagne présidentielle, elle donne envie de reprendre l’interjection – ou l’invitation- : oui, « Vive la politique ! ». Certes, des candidats, et en particulier le président-candidat, ont multiplié les initiatives pour brouiller les pistes et organiser la diversion ( de la polémique sur la viande hallal au débat sur le permis de conduire en passant par l’instrumentalisation de la question sécuritaire) mais il n’en demeure pas moins que de vrais débats conditionnant des choix de société ont été posés. Jean Luc Mélenchon et François Hollande (c’est le domaine où il est le plus convaincant) ont mis la question d’une fiscalité plus juste et plus égale au centre de la campagne. Ils proposent là aux Français de vrais choix et offrent de réelles possibilités de changement par rapport à une fiscalité particulièrement favorable aux nantis et aux entreprises, telle que Nicolas Sarkozy l’a organisée tout au long de son quinquennat. La question de l’austérité, celle de la croissance, du rôle de l’Europe ou encore le débat sur la protection sociale ou les retraites ont été et seront encore discutés jusqu’au 6 mai.
Les sondages annoncent la possibilité d’une abstention record et indiquent le désintérêt d’une partie importante de l’opinion pour la campagne. Il est vrai que le désenchantement et le désespoir touchent des couches importantes de la population victimes de la crise. Comment expliquer sans cela que Marine Le Pen rassemble le plus grand nombre d’intentions de vote chez les moins de 24 ans. Mais ce n’est pas le seul visage de cette campagne. Il en est un autre, puissant lui aussi, celui des places publiques envahies par des dizaines de milliers de militants, de partisans, d’hommes et de femmes engagés, déterminés à défendre leur vision de l’avenir et leur refus du présent. Hier encore, médias, sociologues, politologues, nous expliquaient doctement que le meeting était la dernière des ringardises. La politique, c’était, comme pour tout le reste, la télé, rien que la télé. Ou, aujourd’hui, internet. Mais la rue, vous n’y pensez pas ! Et pourtant, des hommes et des femmes ont retrouvé le vieux chemin des slogans, des chants et des banderoles…et de l’espoir. Victor Hugo et Les Misérables ont à nouveau droit de cité dans les discours. On se le dispute même, et parfois dans l’incongruité absolue. Dans ces retrouvailles, le Front de Gauche et Jean Luc Mélenchon ont été déterminants. Quoi qu’il arrive le 22 avril et le 6 mais, il en restera quelque chose.