Italie : Retour sur l’affaire Battisti

 

L’extradition et le retour de Cesare Battisti en Italie, le 14 janvier dernier, après 37 ans de fuite et d’exil ont fait ressurgir tous les fantômes des années de plomb et l’incapacité toujours tenace de la majorité des acteurs de l’époque de « faire les comptes » avec cette période historique. Et cela est vrai tant pour les protagonistes de la lutte armée que pour l’état italien. De ce point de vue, qu’il me soit permis de reproposer un texte du Blog-Notes publié, à ce sujet, le 23 juin 2004 et duquel je ne retirerais pas une ligne. (https://www.revuepolitique.be/limposture-intellectuelle/)


Il était déjà question de l’extradition (alors de France et déjà inacceptable) de l’ex-terroriste, de son incapacité ou de  son refus d’endosser ses responsabilités (quelle que soit sa réelle culpabilité), de la méconnaissance totale des réalités italiennes de la part des intellectuels français qui avaient pris sa défense et de l’impossibilité de clore un chapitre inédit et sanglant de l’histoire italienne et européenne (je renvoie aussi à ce sujet à un Blog-Notes plus récent : « Quant le terrorisme était italien : https://www.revuepolitique.be/blog-notes/quand-le-terrorisme-etait-italien/). Rien de nouveau sous le soleil transalpin de ce point de vue.

Quarante années après les faits pour lesquels Battisti a été condamné à perpétuité par contumace, l’extradition du Brésil (via la Bolivie) comme l’emprisonnement à vie n’ont évidemment pas de sens. L’argument est certes utilisé par l’ex-terroriste lui-même : « Je ne suis plus l’homme que j’étais il y a quarante ans » a-t-il déclaré à deux représentants du Parti Radical qui ont pu lui rendre visite dans sa cellule d’isolement à la prison sarde d’Oristano. C’est évident, mais il est regrettable que Battisti n’ait jamais voulu nous dire qui il était exactement il y a quarante ans…

Les conditions de son extradition et de son retour sont encore plus choquantes que le fait lui-même. L’esprit de l’accord entre deux dirigeants d’extrême-droite – le néo président brésilien Bolsonaro et Salvini le ministre de l’Intérieur, homme fort de la coalition « jaune-brune » italienne qui l’ont chacun instrumentalisé à leur manière, peut se résumer par l’expression utilisée par le fils du président brésilien[1] : le « petit cadeau » est en route…

La mise en scène médiatique de l’arrivée de Cesare Battisti eut été grotesque si elle n’était aussi significative du justicialisme et l’esprit de vengeance de la coalition au pouvoir. Battisti a été exhibé comme un trophée par le ministre de l’Intérieur de la Lega (revêtu, comme c’est désormais la tradition, d’un uniforme de la police) et son collègue de la justice, Alfonso Bonafede (5 Stelle) qui, devant les journalistes, se sont disputé la première place devant les micros placés face à l’avion qui ramenait Battisti. Bonafede a fait plus fort en publiant sur son compte FB une vidéo[2] qui glorifie son rôle et porte atteinte à la dignité du détenu (pourtant protégé par la loi), ce qui a provoqué la réaction de syndicats de policiers, d’associations d’avocats et de magistrats et d’anciens gardes des Sceaux. Mais rien n’y fait, dans ce domaine comme dans d’autres encore plus dramatiques[3], les actuels gouvernants lancés dans la surenchère populiste se soucient peu du droit. Salvini n’a pas hésité à dire qu’il envoyait Battisti « pourrir en prison ». Cette attitude contrastait d’une manière spectaculaire avec l’attitude — républicaine — d’une policière qui a joué un rôle majeur dans l’arrestation de Battisti. À la question de savoir si elle avait fêté cette arrestation, elle répondait[4] : « Pas encore. On le fera, mais qu’il soit clair que nous fêterons le succès professionnel et non la perte de liberté. Le capturer était mon travail, je l’ai fait. Mais je ne trinquerai pas à la tristesse d’autrui. »

Cela dit, il faut savoir que depuis 37 ans tous les gouvernements italiens, toutes tendances confondues, ont demandé l’extradition de Battisti. Et qu’aujourd’hui, à l’une ou l’autre exception près, personne ne s’oppose à son incarcération. Il faut espérer que dans un autre rapport de force politique – et par l’attitude de Battisti lui-même quant à son propre parcours, il sera mis fin à cet absurde non-dit, de part et d’autre, sur la période des années de plomb et que, dans le respect de tous, une amnistie sera enfin possible. Et rappeler aussi, même si cela n’exonère pas la responsabilité du terrorisme d’extrême gauche de ses actes, que des crimes de masse du terrorisme d’extrême droite restent à ce jour toujours impunis.

[1] Par ailleurs, depuis lors, soupçonné de malversations financières.

[2] Réalisée et produite par Casaleggio Associati, la société crée par Gianroberto Casaleggio le mentor et idéologue de l’ombre de Beppe Grillo et des 5 Stelle, aujourd’hui disparu, mais dont le fils, Davide, a pris la succession. Cette même société contrôle toute l’informatique et du mouvement dont elle détient le pouvoir réel.

[3] Notamment en matière migratoire. On y reviendra prochainement.

[4] La Repubblica du 16 janvier 2019

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