Ernest Pignon Ernest ou la création du « hors cadre »

Exposition « Empreintes » au Botanique à Bruxelles jusqu’au 10.02.19

EPE,Grenoble,1976 (*)

C’est par un chemin de traverse qu’Ernest Pignon Ernest est devenu le plasticien que l’on connaît et le précurseur de l’art urbain. Jeune peintre autodidacte, il découvre Guernica comme le sommet indépassable de la création. Il décide que l’on ne peut plus peindre après Picasso[1]. Avec le choix du dessin – « une forme de résistance de la pensée comme l’écriture » dit-il, Pignon ouvre la voie à une création originale. Alors qu’en 1966, il vient d’aménager son atelier dans le Vaucluse, les forces nucléaires françaises s’installent à deux pas sur le plateau d’Albion. « Des centaines d’Hiroshima enkystés sous des champs de lavande » : il refuse cette perspective et, comme créateur, décide d’agir. Non par une toile ou un dessin, mais par une intervention dans l’espace public. La première d’une longue série. Sur les murs, la roche, la route du Plateau d’Albion, il reproduit la célèbre silhouette noire, dernière trace des victimes d’Hiroshima et Nagasaki. Il réalise alors ses dessins avec un pochoir. Plus tard il choisira le dessin au fusain. Tous ses personnages (re) créés sur papier et collés dans les villes et villages sont toujours à l’échelle 1/1 : ils nous interpellent ou nous interrogent à hauteur d’homme. La question du lieu est évidemment centrale dans la démarche d’Ernest Pignon Ernest : à propos du nucléaire à Albion, comme ce sera le cas lors de toutes ses interventions à venir. Il précise à propos de sa première intervention : «  S’est imposée cette évidence que c’étaient les lieux eux-mêmes qui étaient dévoyés et devenaient porteurs de ces contradictions, de ces tensions, de ce potentiel dramatique. Que c’étaient ces lieux mêmes qu’il fallait stigmatiser »[2]. Tout part de là. C’est ce parcours de 1971 à 2015 dont rend bien compte la belle exposition au Botanique à Bruxelles.

Marmoud Darwich, camp de réfugiés AIA, 2009

Désormais Ernest Pignon Ernest va dessiner et intervenir dans les endroits les plus divers : pour le centenaire de la Commune de Paris en 1971, pour affirmer sa solidarité avec les victimes de l’apartheid (alors qu’en 1974, Nice, sa ville natale, célèbre un jumelage avec Le Cap), mais aussi avec les expulsés à Paris ou pour soutenir le combat pour la libéralisation de l’avortement.

En 2015, pour le quarantième anniversaire du tragique assassinat de Pier Paolo Pasolini, il compose une de ses œuvres les plus puissantes et symboliques. Le poète assassiné porte dans ses bras son propre cadavre, comme une Pietà. « Qu’avez-vous fait de moi, qu’avez-vous fait de ma mort ? » semble dire Pasolini par le trait de Pignon qui entretient avec l’œuvre du poète une relation intense. Il va coller des myriades de ce dessin au fusain à Rome, à Ostie (le lieu de l’assassinat), à Naples, à Matera (là où Pasolini tourna « L’Évangile selon Saint Mathieu »). Œuvres éphémères, photographiées, déchirées, ce que Pignon considère comme une « espèce de réciprocité ».

Pasolini assassiné, Si je reviens, Napoli,2015

« Ma démarche consiste à appréhender un lieu, un lieu et un temps comme un peintre qui va sur le sujet. Je tente de saisir, dit Pignon, de comprendre à la fois tout ce qui est de l’ordre du visible, du charnel, la couleur, la texture des murs, la façon dont la lumière y circule, l’espace et, dans le même temps, j’étudie ce qui ne se voit pas ou ne se voit plus dans ce lieu : l’histoire, la mémoire enfouie, disons tout son potentiel symbolique et suggestif ». C’est exactement cela ! Ernest Pignon Ernest est le plasticien du « hors cadre ». Les poètes qu’il célèbre dans la même scénographie, Rimbaud, Darwich, Artaud, Neruda, nous sont rendus avec autant de force. Grâce aux dessins, réalistes, mais jamais illustratifs, de Pignon, les murs et les lieux, dans une double démarche, dévoilent autant qu’ils sont dévoilés.

 

[1] C’est peut-être cette admiration pour Picasso qui indirectement le fait changer de nom. Ernest Pignon est son vrai nom. C’est pour ne pas porter les mêmes initiales qu’Édouard Pignon, compagnon de route de Picasso et peintre de l’École de Paris, qu’il ajoute un second Ernest à son patronyme.

[2] Les citations sont extraites de la publication de « Conversation avec Roger Pierre Turine, Ernest Pignon Ernest, Éditions Tamdem, 2018. Roger Pierre Turine étant, par ailleurs, le Commissaire de l’exposition au Botanique. A ne pas manquer à l’exposition, la projection du film « Si torno » ( SI je reviens) – Ernest Pignon Ernest et la figure de Pasolini, Collectif Sikozel, 2016, 60 minutes

(*) Pour toutes photos : Ernest Pignon Ernest,;© EPE-Courtesy-Galerie-Lelong-&-Co

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 réponse à Ernest Pignon Ernest ou la création du « hors cadre »

  1. dormoy-marioge christine dit :

    oui, magnifiques et si sensibles empreintes pour Pier Paolo Pasolini en 2015 .
    je méconnais les oeuvres pour Rimbaud, Darwich, Artaud, Neruda…
    Merci : reste à courir au Botanique de Bruxelles … plus qu’un seul jour avant dimanche.

Les commentaires sont fermés.