Il fallait bien qu’il y en ait un qui s’y colle ! C’est donc Laurent Joffrin. Le directeur de Libération et ex directeur de la rédaction du Nouvel Observateur s’est donc chargé de répondre aux critiques de plus en plus nombreuses et virulentes sur l’évolution des pratiques médiatiques. Pour ce faire, Laurent Joffrin publie au Seuil, « Média-Paranoïa », un petit livre polémique et sans doute un peu vite écrit. Mais soit, la parole est à la défense qui a des arguments à faire valoir. Et il faut donner acte à l’auteur de ce que la critique médiatique est devenue une véritable industrie qui nourrit d’ailleurs les médias eux-mêmes selon un cycle bien connu du marché et qu’elle prend souvent les allures détestables des règlements de comptes ou du complot obsessionnel.
Cependant les dérives et les dérapages médiatiques sont une réalité que plus personne ne conteste et qui mérite un débat qui aille au-delà de l’invective. Or, Laurent Joffrin fait un peu ce qu’il reproche à ce qu’il appelle la média-paranoïa : il simplifie les thèses de l’accusation parfois jusqu’à la caricature et adopte une défense plutôt corporatiste du journalisme. Certes l’homme qui occupe de telles fonctions dans la presse française ne peut nier les erreurs commises – et la nécessité de les critiquer et de les corriger- mais il les minimise. Elles sont rares, dit-il, et il suffit, en gros, de respecter les règles fondamentales du métier (comme le croisement des sources ou la séparation des faits et des commentaires) pour les éviter. De même il balaie d’un revers de la plume les arguments de ceux qui critiquent la dégradation des conditions de travail des journalistes et les méfaits des règles du marché sur l’information. Le manque de temps » des journalistes ou la concurrence exacerbée ? « Une fable » rétorque Joffrin dont on se ne sait s’il faut mettre en cause le parti pris ou l’angélisme.
Et puis il y a une manière sommaire de régler la question en affirmant que les critiques des médias « sont en fait des ennemis des principes démocratiques ». Il fait penser là à ceux qui confondent audimat et suffrage universel. Le directeur de Libération reconnait bien en conclusion que l’indépendance de l’information est un combat et qu’il faut certes réformer les pratiques journalistiques. Mais la sous-estimation systématique de la crise médiatique réduit son propos. Le pourfendeur de la « média paranoïa » n’a pas échappé à la tentation du narcissisme médiatique.