Un journal, c’est un ton, un style, une histoire et peut-être avant tout des signatures qui les incarnent et leur donnent du sens. Au « Soir », comme ailleurs, il ya ainsi quelques grandes signatures qui fondent l’identité du quotidien. On ne concevait pas la politique belge sans les analyses de Bénédicte Vaes, on n’imagine pas l’Afrique sans le regard de Colette Braeckman, on n’aborde pas les questions sociales (dont celle, par exemple, des sans papiers) sans les articles de Martine Vandemeulebroucke.
Or, voilà précisément que la direction du « Soir » veut muter cette dernière contre son avis et sans concertation vers le Forum et le service internet (modération des contributions des lecteurs sur le web). Outre le manque de respect professionnel pour une journaliste qui compte 29 ans de « maison » et ce que représente cette mutation non souhaitée pour l’intéressée, la direction du quotidien appauvrit ainsi volontairement sa couverture des événements sociaux déjà négligée ou sous – et souvent mal- traitée dans l’ensemble de la presse belge.
Par ailleurs, on ne peut s’empêcher d’entrevoir la dimension symbolique d’une telle décision. Ces journalistes – ces femmes journalistes- comme Martine Vandemeulebroucke résument aujourd’hui comme hier une certaine idée du « Soir », celle qui précisément résiste à la tentation de la peopolisation de la presse, présente au quotidien bruxellois comme partout ailleurs. Ces journalistes sont indispensables pour l’image du quotidien, pour ses lecteurs, comme pour leurs plus jeunes confrères et consœurs qui ont besoin de cet esprit de résistance à l’air du temps et de cette contextualisation quasi historique que donnent le temps et la mémoire journalistique. Naturellement la direction d’un quotidien comme « Le Soir » décide souverainement de la composition de ses équipes mais l’élimination d’une signature comme celle-là dépasse de loin les contingences rédactionnelles. Au-delà de la solidarité personnelle et professionnelle que l’on a envie de manifester à Martine Vandemeulebroucke dans ces circonstances, il ne faut par perdre de vue le sens d’une telle décision pour l’orientation globale du principal quotidien francophone.
C’est précisément « Le Soir » (du 26 novembre) qui se faisait l’écho d’une autre « mutation », celle de l’émission radio « Première séance » consacrée au cinéma sur « La Première » de la RTBF. « Première séance » était jusqu’il y a peu programmée le samedi matin à une heure de grande écoute, elle a été déplacée sans explication au dimanche soir, perdant du même coup tout son potentiel d’auditeurs.
Des cinéastes, comme les frères Dardenne, Joachim Lafosse ou Ursula Meier, des comédiens comme Olivier Gourmet mais aussi des producteurs ou des programmateurs de salle s’inquiètent et critiquent la relégation de cette remarquable émission animée par Jean Louis Dupont. Ils soulignent qu’elle reste « une des dernières émissions francophones exhaustives consacrée au cinéma, perçu dans sa dimension culturelle et créatrice « et que « cette réforme programmatique est d’autant plus inquiétante et critiquable qu’elle émane d’une radio de service public ». De fait, on ne comprend pas le sens d’une telle décision qui revient à condamner une émission qui, de surcroit, comptait parmi les mieux « écrites » radiophoniquement.
Dans sa course à l’audience, la télévision publique nous a habitués depuis longtemps à une démarche de plus en plus inspirée du modèle commercial, jusqu’ici la radio réussissait mieux à préserver son identité. Le sort fait à « première séance » inquiète un peu plus.
Et comment ne pas rapprocher mutation de l’une et relégation de l’autre qui témoignent finalement du même esprit du temps…