« Avevo un sogno » : un film à hauteur de femme

«Avevo un sogno » (« I had a dream »), le film exceptionnel de Claudia Tosi sera présenté en avant-première italienne au Biografilm Festival de Bologne (7-17 juin[1]) Le film  a reçu plusieurs récompenses au festival de Leipzig et  fait un grand nombre de festivals européens  ainsi qu’au Canada. Mais il  n’ apas encore été projeté en Belgique et en France. Je vous informerai des futures projections. La version italienne de cet article suit la version française ( La versione italiana di questo servizio segue la versione francese.)

 

Voilà le film qui manquait au cinéma italien !  Et c’est un documentaire. « Avevo un sogno » – « J’avais un rêve »[2] : l’imparfait s’imposait dans le titre du film de Claudia Tosi. Pendant dix ans, la réalisatrice va suivre deux femmes, deux amies, deux militantes du PD :  Daniela Depietri et Manuela Ghizzoni, la première est conseillère communale à Carpi, une petite ville proche de Modena, la seconde est députée. Dix ans qui sonnent le glas de la politique et celui de la gauche. Le film commence et se termine sur deux défaites cuisantes pour la gauche.

Du scrutin de 2008, dernière victoire de Berlusconi à celui de 2018 première victoire commune de la Lega et des Cinque Stelle, « Avevo un sogno » nous fait vivre au plus près cette  lente et inexorable descente aux enfers. Et il fallait le regard de deux femmes pour la comprendre dans toutes ses dimensions. Le choix de protagonistes féminines qui se battent contre les discriminations y compris dans leur propre parti  est essentiel pour saisir ce qui se joue dans cette Italie et capter cette continuité du Berlusconisme au populisme et à l’extrême droite.  Ce berlusconisme dont Daniela nous dit qu’il se résume dans « un total désintérêt pour l’autre », « dans une série de non valeurs qui ont détruit ce pays ».

Claudia Tosi fait partie de cette famille  restreinte de cinéastes  qui ont choisi de filmer la politique en donnant du sens à des images qui refusent le spectaculaire. Dans une proximité respectueuse de  l’intimité, les personnages nous parlent et font de nous spectateurs des protagonistes de l’histoire au quotidien. Nous partageons leurs luttes, leur amertume, leur désespoir parfois mais aussi leur humour et leur ironie et in fine le refus de la résignation. Le tableau est sombre : il nous égrène les épisodes qui peuplent la vie de ces militantes : les hommes qui s’endorment dès que Manuela prend la parole dans une assemblée électorale du parti, la bataille symbolique de Daniela pour imposer la féminisation de sa fonction,  le machisme des conseils communaux, le racisme ordinaire que l’on entend[3] sur le marché, les restrictions budgétaires imposées par le centre- gauche lui-même. Seules, sans doute, les manifestations des collectifs féministes et la lutte pour la parité  et contre la violence faite aux femmes donnent-elles à  Daniela et Manuela l’énergie pour poursuivre le combat.

La réalisatrice a choisi la longue durée – celle spécifique au cinéma documentaire – qui seule peut rendre compte de la densité du réel. Elle a aussi adopté un dispositif qui nous restitue l’épaisseur du temps et place  protagonistes et  spectateurs à la « bonne distance » des événements.  Daniela et Manuela regardent « leur » film dans une salle de projection. Elles commentent d’un mot, d’un geste, d’une mimique, d’un silence parfois les séquences qui défilent. Elles se retournent sur leur propre passé. Ce sera  aussi la possibilité pour elles de dresser un bilan.

On ne peut facilement isoler l’une ou l’autre séquence qui toutes tissent l’histoire de la faillite de la politique. J’en retiendrai  pourtant deux. Dans la première, on suit Manuela qui traverse avec une énergie rageuse la salle d’une réunion publique du PD à laquelle participe le ministre des rapports avec le parlement. De loin, en plan large, on voit la députée qui contourne l’assistance pour arriver à « coincer » le ministre à la fin de son intervention. Elle tente d’arracher son accord et un budget pour l’amélioration des  pensions pour les enseignants. Du bras, elle écarte les courtisans qui veulent approcher le pouvoir et distraire son représentant. On n’entend pas les échanges mais on devine qu’ils sont tendus. La démarche de Manuela indique sa détermination. Ses gestes et son regard témoignent de sa colère. Mais le ministre  visiblement embarrassé  a pour lui la force de l’inertie. On comprend qu’elle ne gagnera pas. Manuela doit admettre son impuissance.

La seconde séquence, un peu plus loin dans le film, résonne comme en écho à la première. On y  retrouve Daniela à l’hôpital pour subir une chimiothérapie. Auparavant un plan symbolique d’une grande pudeur nous a annoncé sa maladie.  Les infirmières connaissent naturellement la conseillère communale. Le dialogue qui s’entame est vif. Les infirmières qui sont certainement des sympathisantes de gauche manifestent leur rejet du monde politique – le succès des 5 Stelle se dessine – dont elles attendent un signal fort de changement. Les infirmières « sauvent » cependant Manuela (et Daniela)  parce qu’elles la connaissent et « qu’elle répond au téléphone »….             « Cette scène est vraiment cruciale  (…) Mais ce n’est pas comme cela que doit fonctionner un système représentatif … C’est la défaite de la politique» dira plus tard Manuela.

En prologue et en voix off  Claudia Tosi  avait posé cette question : «  Qu’est-ce que cela signifie faire de la politique (« Fare Politica »)[4] ? ». Elle traverse tout le film, elle scande la vie des protagonistes, elle justifie leurs combats. Quand, à la fin, elles dressent le bilan de cette décennie  émaillée de grandes défaites et de petites victoires, les deux femmes sont amères. L’inutilité du travail parlementaire, le combat perdu contre l’austérité défendue par son propre camp, l’impossibilité de répondre aux besoins des femmes et des hommes, la bureaucratie, l’absence de projet du PD, le résultat des élections de mars 2018 : la liste est noire. Manuela, après avoir fait encore une fois le constat de la « faillite de la politique », ajoute : « toutes les histoires ne doivent pas avoir une fin heureuse… »

Le désespoir n’est pas loin et pourtant la résignation ne l’emporte pas. A un moment  après que Manuela se déclare « en apnée d’horizons », Daniela, agacée, se  rebelle : « Excuse-moi mais le sens du devoir nous pousse à continuer comme s’il  y avait un demain », « Et même si on en doute parfois, un après demain » (se) reprend Manuela. Les deux femmes n’en ont pas tout à fait fini avec la politique à condition, comme elles disent d’arriver à  «  transformer leur passion en action »…

C’est tout le sens du très beau film de Claudia Tosi. Un film lucide et généreux. Un film magnifiquement maitrisé toujours conçu et tourné « à hauteur de  femme (et d’homme) ».

 

[1] https://www.biografilm.it/

[2] Italie, France, 2018, 84’, Production Movimenta en coproduction avec Cosmographe Production et France Télévision, VO italienne, ST anglais

[4] Je ne peux pas ne pas indiquer ici que j’ai moi-même réalisé un film, sorti en 2005 et qui s’intitule précisément « Il Fare Politica » qui pose la même question et qui suivait aussi quatre militants communistes toscans  sur la longue durée également ( 22 ans). En quelque sorte, les frères et sœurs ainés de Manuela et Daniela. Claudia Tosi a d’une certaine manière repris l’histoire où je l’avais laissée…

 

« Avevo un sogno » : un film a misura di donna.

Ecco il film che mancava alla cinematografia italiana ! Ed é un documentario. « Avevo un sogno [1]» : l’imperfetto si impone nel titolo del film di Claudia Tosi. Per dieci anni, la regista ha seguito due donne, due amiche, due militanti del PD : Daniela Depietri e Manuela Ghizzoni, la prima è Consigliera nel Comune di Carpi, una piccola città vicino a Modena, la seconda è Deputata alla Camera. Dieci anni che suonano la campana a morto della politica e della Sinistra. Il film inizia e finisce su due disfatte brucianti per la Sinistra. Dallo scrutinio del 2008, ultima vittoria di Berlusconi, a quello del 2018, prima vittoria comune della Lega e dei Cinque Stelle. « Avevo un sogno » ci fa vivere da vicino questa lenta e inesorabile discesa agli inferi. E ci voleva lo sguardo di due donne per capirlo in tutte le sue dimensioni. La scelta di protagoniste femminili che si battono contro le discriminazioni, comprese quelle nel loro stesso partito, è essenziale per capire quello che sta succedendo in Italia e ci aiuta ad afferrare la continuità che va dal Berlusconismo al populismo e all’estrema destra. Quel Berlusconismo che Daniela stessa dice riassumersi nel « totale disinteresse per l’altro » e « in una serie di disvalori che hanno distrutto questo paese ».

Claudia Tosi fa parte di quella famiglia ristretta di cineasti che hanno scelto di filmare la politica dando un senso a delle immagini che rifiutano la spettacolarizzazione. Attraverso una vicinanza rispettosa, i personaggi ci parlano e fanno di noi spettatori dei protagonisti della Storia del quotidiano. Condividiamo le loro lotte, la loro amarezza, qualche volta la loro disperazione, ma anche il loro senso dell’umorismo e la loro ironia, e infine il rifiuto della rassegnazione. Il quadro è buio, la regista elenca gli episodi che della vita di questi militanti : gli uomini che si addormentano appena Manuela prende la parola ad un comizio elettorale, la battaglia simbolica di Daniela per imporre la declinazione al femminile della sua carica politica, il maschilismo nei consigli comunali, il razzismo che si respira passeggiando nei mercati, i tagli al budget imposti dal governo di centro-sinistra stesso. Senza dubbio, solo le manifestazioni dei collettivi femministi e la lotta per la parità e contro la violenza fatta alle donne danno a Daniela e Manuela l’energia per proseguire la battaglia.

La regista ha scelto il tempo lungo per il racconto – quello specifico del film documentario – che può rendere conto della complessità della realtà; ha anche adottato un dispositivo  che ci restituisce lo spessore del tempo e dello spazio. Protagonisti e spettatori si trovano ad una « buona  distanza » degli avvenimenti. Daniela e Manuela guardano il « loro » film in una sala di proiezione. Commentano le sequenze che sfilano davanti ai loro occhi con una parola, un gesto, una mimica, un silenzio. Ripercorrono il loro passato. Sarà anche il momento per loro  per fare un bilancio.

Non si possono facilmente isolare le sequenze una dall’altra in quanto raccontano la storia del fallimento della politica. Ne scelgo però due. Nella prima, seguiamo Manuela, furibonda, che attraversa la platea della Festa del PD di Modena, durante un incontro con il Ministro dei Rapporti con il Parlamento, Franceschini. Da lontano, in primo piano, vediamo la deputata che aggira il servizio d’ordine per arrivare a « bloccare » il ministro alla fine del suo intervento. Si infuria con lui per il mancato inserimento in un decreto di un emendamento a favore del pensionamento degli insegnanti, la cosiddetta Quota96. Con il braccio, allontana i cortigiani che vogliono avvicinarsi al potere e distrarre il suo rappresentante. Non sentiamo lo scambio di parole ma possiamo indovinare che la situazione è tesa. I modi di Manuela indicano la sua determinazione. I suoi gesti e il suo sguardo testimoniano la sua collera. Il ministro però, visibilmente imbarazzato, ha dalla sua parte la forza dell’inerzia … non reagisce. Capiamo che Manuela non vincerà e deve ammettere la sua impotenza.

 

La seconda sequenza, un po’ più avanti nel film, risuona come un’eco della prima. Troviamo Daniela all’ospedale per una chemioterapia. Poco prima un’immagine simbolica ci aveva annunciato la sua malattia, con grande pudore. Le infermiere, naturalmente, conoscono la consigliera comunale. Il dialogo che si sviluppa è molto vivace. Le infermiere, che sono certamente simpatizzanti  della Sinistra, manifestano il loro rifiuto del mondo politico – siamo agli inizi dei 5 Stelle – dal quale si aspettano un segnale forte di cambiamento. Le infermiere « salvano » però Manuela  (e Daniela) perché la conoscono e « risponde al telefono ». « Questa scena è veramente cruciale (…) Ma non é così che deve funzionare un sistema rappresentativo … E’ la disfatta della politica », dirà più tardi Manuela.

 

Nel prologo, e con voce fuori campo, Claudia Tosi aveva posto questa domanda : « Cosa significa fare politica ? » . « Fare politica »[2] Questa domanda attraversa tutto il film, scandisce la vita delle protagoniste, dà senso alle loro battaglie. Quando alla fine, fanno il bilancio di quei dieci anni di grandi disfatte e di piccole vittorie, le due donne sono amareggiate. L’inutilità del lavoro parlamentare, la battaglia persa contro l’austerità difesa dal proprio campo politico, l’impossibilità di rispondere ai bisogni delle donne e degli uomini, la burocrazia, l’assenza di un progetto del PD, il risultato delle elezioni del marzo 2018 : la lista è nera. Manuela, dopo aver nuovamente constatato il « fallimento della politica », aggiunge : « non tutte le storie devono avere un lieto fine … ».

La disperazione non è lontana, però la rassegnazione non vince. Ad un certo momento, dopo che Manuela si dichiara « in apnea d’orizzonti », Daniela, irritata, si ribella : «Scusami, ma il senso del dovere ci spinge a continuare come se ci fosse un domani ». « Anche di un dopo domani… ma su questo ho qualche dubbio… », si riprende Manuela. Le due donne non hanno completamente chiuso con la politica a condizione, come dicono, di arrivare a « trasformare la loro passione in azione » …

Questo è il senso del bellissimo film di Claudia Tosi. Un film lucido e generoso. Un film magnificamente gestito, sempre concepito e girato « a misura di donna (e uomo) ».

 

[1]                             Italie, France, 2018, 84’, Production Movimenta en coproduction avec Cosmographe Production et France Télévision, VO italienne, ST anglais

[2]             Non posso non menzionare qui che io stesso ho realizzato un film uscito nel 2005 dal titolo appunto « Il Fare Politica » che pone la stessa domanda e che ha seguito quattro militanti comunisti toscani ugualmente sulla lunga durata (22 anni). In qualche modo, i fratelli e sorelle maggiori di Manuela e Daniela. Claudia Tosi  in un certo modo ripreso la storia lì dove l’avevo lasciata …

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