1965-2017 Histoires de Présidentielles( 6. 1995 Election Trahison…)

Les « professionnels de la profession » aiment à dire qu’il faut deux ou trois décennies pour « faire » un président de la République. Ces commentateurs patentés estimaient donc en 1995 que le « tour » de Jacques Chirac était arrivé avec sa troisième candidature. Il en avait fallu autant à Mitterrand pour triompher. Le contexte était favorable à la droite : le deuxième septennat de François Mitterrand se soldait par la déliquescence de la gauche socialiste. Le 4 novembre 1994, le jour de la Saint Charles, lors d’un entretien au quotidien lillois « La Voix du Nord », le maire de Paris annonce donc qu’il sera candidat.

Mais la voie royale vers l’Elysée s’annonce plus escarpée que prévu. Edouard Balladur, premier ministre de la deuxième cohabitation depuis avril 1993 avait juré que le chef de gouvernement idéal était celui qui n’avait pas d’ambition présidentielle. Il l’avait dit et répété dans les médias.

Son « ami de trente ans » ne pouvait pas se douter que la trahison était proche…

Cohabitation avec Rocard

En mai 1988, la victoire de « La France Unie » était une promesse d’ouverture dont Michel Rocard devait être l’artisan naturel. Ce sera plus compliqué. Aux législatives, les socialistes n’obtiennent qu’une majorité relative. Sans pouvoir pratiquer une véritable ouverture à d’autres forces politiques, Rocard doit se contenter d’embaucher quelques personnalités issues de l’opposition. D’emblée, Mitterrand limite ses marges de manœuvre et entretient avec son premier ministre et ancien rival des relations quasi conflictuelles de l’ordre de la cohabitation. Le grand œuvre de Michel Rocard sera les accords de Matignon qui pacifient la Nouvelle Calédonie et sur le plan social, la création du RMI (Revenu Minimum d’Insertion) et de la SCG (Contribution Sociale Généralisée, cotisation proportionnelle qui finance la Sécurité sociale). Mais dès 1991, la détérioration de la situation économique et la chute de popularité du gouvernement donnent l’occasion à François Mitterrand de se débarrasser de son premier ministre.

En mai 1991, ce sera la courte parenthèse (10 mois), Edith Cresson. La première femme nommée à Matignon est victime tout autant de son impréparation et de ses maladresses que du machisme ambiant dans le monde politique. Elle cède donc rapidement sa place à Pierre Bérégovoy qui attendait impatiemment son tour. Mais les nuages s’amoncèlent sur un pouvoir socialiste converti à la primauté de la finance et de la Bourse. L’argent roi règne. Tapie, ministre, fait la loi. Les affaires s’accumulent, touchant directement l’Elysée [[Affaire Péchiney/Pelat : Patrice Pelat, l’ami intime et compagnon de guerre et de captivité de François Mitterrand a profité de sa proximité du pouvoir pour mener ses affaires. Il est inculpé de délit d’initié ]] ou le PS. [[Affaire Urba : financement du PS par le biais de fausses factures]] Au congrès de Rennes (1990), dans un embrouillamini cauchemardesque, Laurent Fabius et Lionel Jospin, les héritiers putatifs de Mitterrand, se déchirent et tout le parti avec eux. En 1992, Mitterrand de plus en plus atteint par la maladie a rendu public son cancer et obtient à l’arraché un oui au referendum sur le Traité de Maastricht. [[ On ne traitera pas ici la politique extérieure et notamment la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande où Mitterrand jouera un rôle essentiel contrairement à ce qu’affirment les commentaires dominants mais qui de toute manière n’interviendront pas sur le plan intérieur ]] En mars 93, La défaite de la gauche aux législatives n’est donc pas une surprise mais l’ampleur de cette défaite est historique. Sur les 577 sièges de la Chambre, la majorité socialiste n’en conserve que 67, soit 17 % des suffrages. C’est l’Assemblée la plus à droite depuis la Chambre bleu horizon de 1919.

Cohabitation avec Balladur

Ce sera donc la deuxième cohabitation, cette fois avec Edouard Balladur. Elle sera plus paisible que la première parce que le pouvoir mitterrandien arrive au bout de son processus, même si le président, malgré la maladie, défend toujours jalousement ses prérogatives constitutionnelles et fait obstacle à la droite quand il le peut. L’atmosphère de fin de règne imprègne « le château », comme on l’appelle et Mitterrand veut se mettre « en ordre ». Il rend publique l’existence de Mazarine, sa fille cachée. Et surtout, à l’occasion du livre de Pierre Péan [[Pierre Péan, Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947, Fayard, 1994]] auquel il collabore sans restriction, il dévoile l’ampleur de son engagement à Vichy. Les polémiques qui en suivent seront dévastatrices. Le 1er mai 1994, le suicide de Pierre Beregovoy qui n’a pas supporté que l’on mette en cause son intégrité dans l’affaire d’un prêt personnel achève de noircir la fin du septennat. Seul le duel fratricide Balladur/Chirac pour sa succession égaillera encore le vieux stratège élyséen qui, en fin connaisseur de la droite, ne se trompera pas sur l’issue de l ‘affrontement.

Avant même qu’il n’avoue sa candidature, les sondages font de Balladur le favori quasi imbattable de la présidentielle des 23 avril et 7 mai 1995. Une fois installé à Matignon, Il n’avait pas fallu longtemps à l‘ancien conseiller de Georges Pompidou pour céder à la tentation d’une candidature présidentielle. Chirac avait une confiance absolue en son ami de trente ans qui était son confident et son recours des moments difficiles. Les couples Chirac/Balladur dinaient à peu près tous les dimanches soir à la Mairie de Paris. Balladur a trahi sans état d’âme. A la suite de Nicolas Sarkozy, les uns après les autres, les proches de Chirac ont rejoint celui qui était promis au succès. Seuls autour d’Alain Juppé, quelques fidèles demeurent aux côtés de Chirac. Le 9 janvier, alors que Balladur semble invincible, Arlette Chabot sur France 2 conclut une émission avec Jacques Chirac en posant la question qui doit tuer : « Vous n’avez pas l’intention de renoncer ? » Le plan du visage ulcéré de Chirac qui trouve peut-être à ce moment précis, dans l’indignation, la force de combattre restera dans les annales de la télévision politique. « Vous parlez sérieusement ou vous faites de l’humour… » répond Chirac. Le 12 janvier, dans Le Monde, Jérôme Jaffré, l’inévitable patron de la Sofres (sondages) publie un article titré « Pour l’opinion, l’élection est déjà jouée ». Le 18, Balladur annonce officiellement sa candidature depuis Matignon.

Chirac/Balladur : l’inversion des courbes

C’est comme le signal de l’inversion de tendance. Le premier ministre en campagne est désormais engoncé, loin des électeurs, les dessins de Plantu dans Le Monde qui ne le représentent qu’en chaise à porteur résument son incapacité à incarner la représentation du peuple.

Alors que, de son côté, Chirac continue de labourer le terrain depuis des mois et multiplie les discours au nom de la « fracture sociale », concept conçu, notamment par Emmanuel Todd. Hors de toute considération psychologique qui joue souvent un rôle important dans la présidentielle, rarement une telle imposture politique et idéologique n’eut autant de succès. Elle témoignait aussi de la faillite absolue de la gauche dont tous les repères s’étaient (déjà) évanouis dans l’abdication devant le CAC 40. Tout désormais se précipite. A la mi-février, la courbe des sondages se croise à 22 %. Le 23 avril, au soir du 1er tour, avec 20,8 % Chirac devance et élimine Balladur(18,6) du second tour.

Mais la surprise est venue de Lionel Jospin qui contre toute attente est arrivé en tête de ce premier tour avec 23,3 %. Fin 94, sondages et medias avaient parié sur un duel final Balladur-Delors. Ce dernier après moult hésitations douloureuses, renonce, faute, dira-t-il, de pouvoir faire triompher son projet politique (européiste et centriste) au PS. Mitterrand disait que Delors « voulait être président mais pas candidat… » .

Rocard encore et toujours mis sur la touche, Lionel Jospin sera le candidat au détriment d’Henri Emmanuelli. Jospin tente de redonner un sens aux valeurs socialistes et fait une belle campagne mais sans un véritable soutien de Mitterrand et, de toute manière, le bilan de la majorité présidentielle est trop lourd à porter. Robert Hue limite les dégâts pour le PCF et la nouvelle venue verte Dominique Voynet ne fait pas mieux que ses prédécesseurs. Mais Arlette IV, pour Lutte Ouvrière, dépasse pour la première fois la barre des 5 % ! A la droite de la droite, Philippe de Villiers rassemble 4,7 %. Et surtout, Le Pen poursuit sa progression à 15 %. La menace se précise…

Le deuxième tour est joué : Jacques Chirac devient le 5ème Président de la Ve République avec 52,6 % contre 47,4 à Lionel Jospin. Le 17 mai 1995, François Mitterrand quitte l’Elysée et accueille Jacques Chirac. Il n’est pas certain qu’il ait regretté cette succession…

Prochain épisode : 2002 Le Fracas


Pour mieux comprendre l’histoire, le contexte et l’actualité de la campagne présidentielle, il faut lire le numéro spécial France de Politique : http://politique.eu.org/skeleton/nu…

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.