1965-2017 Histoires de Présidentielles (7. 2002 Le fracas et la sidération)

Ne pas revivre un « 21 avril » : l’expression est passée dans le langage courant. Elle veut dire bien des choses : ne pas s’abstenir, « voter utile », éviter les divisions à gauche, ne plus être obligé de voter pour la droite afin d’éviter l’extrême-droite….

Le 21 avril 2002 est resté comme un traumatisme, qui au-delà de ses effets immédiats interroge aussi la crise d’identité de la gauche. « Coup de tonnerre », « séisme » : aucune expression ne peut rendre compte de la sidération qui a figé les militants socialistes au moment de l’annonce des résultats du premier tour ce 21 avril 2002 à 20.00 heures. Chirac : 19,88, Le Pen 16,86, Jospin 16,18 : le candidat socialiste ne sera pas au second tour. L’extrême droite lui a pris sa place. Rétroactes.

Le « meilleur d’entre nous »

Le 17 mai 1995, dès son entrée à l’Elysée, Jacques Chirac nomme celui qu’il appelle « le meilleur d’entre nous » à Matignon. Alain Juppé, le fidèle des fidèles devient le premier ministre, énergique pour les uns, cassant pour les autres. Il donne la priorité à la lutte contre les déficits et la dette.
Le 16 juillet 1995 à l’occasion du 53e anniversaire de la rafle du vélodrome d’hiver, Jacques Chirac reconnait « la faute collective » de la France et déclare : « ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français. ». Dans ce qui restera comme son plus grand discours, Chirac rompt donc avec la fiction gaullienne et mitterrandienne qui n’admettait pas cette responsabilité.

Très rapidement l’impopularité frappe le gouvernement Juppé. Durant l’hiver 1996-1996, il doit faire face à une vague de mouvements sociaux qui contestent la réforme des retraites que le premier ministre tente d’imposer. Pour faire face au climat délétère et trompé par des sondages favorables, Chirac tente alors une manœuvre imprudente et incompréhensible auprès de son propre électorat. Le 21 avril 1997, pressé par son conseiller de Villepin, Chirac prononce la dissolution de l’Assemblée nationale.

La « gauche plurielle »

La gauche gagne sans coup férir ces législatives anticipées. Jospin est nommé premier ministre d’un gouvernement de la « gauche plurielle » qui rassemble socialistes, communistes, mouvement des citoyens, verts et radicaux de gauche. La troisième cohabitation de l’histoire de la Ve République peut commencer. Ce sera la plus longue, elle va durer cinq ans. Tandis que la droite est minée par les affaires politico-financières de la Mairie de Paris (les emplois fictifs), la gauche semble vivre une période euphorique. Le gouvernement Jospin bénéficie d’une embellie économique : le chômage baisse, les 35 heures sont adoptées. Mais il ne faut pas s’y tromper : cette gauche toujours en crise d’identité est aussi celle qui va, par exemple, procéder à un vaste programme de privatisations (Crédit Lyonnais, GAN, CNP, etc.). Après les deux septennats mitterrandiens et le changement de cap non assumé de 1983, la confusion idéologique reste grande au PS. Lionel Jospin tentera bien d’esquisser une réflexion sur un nouveau « bloc historique » fondé sur l’alliance des classes moyennes et populaires avec les « laissés pour compte de la mondialisation » mais elle restera sans lendemain.[[ Voir Hugues Le Paige, La double vie du socialisme français, Politique 98-99, Spécial France, mars 2017]]

Fort de ses résultats et de sa popularité, Lionel Jospin obtient de Chirac la modification de la Constitution qui transforme le septennat en quinquennat et rétablit le calendrier électoral (la présidentielle avant les législatives). La réforme sera adoptée le 24 septembre 2000 par referendum mais avec une participation extrêmement faible (30, 19 % de votants). L’heure du verdict présidentiel approche.
Chirac est le premier à annoncer sa candidature le 11 février 2002. Il crée pour l’occasion une nouvelle machine de guerre pour la droite, l’UMP (Union pour la majorité présidentielle) qui rassemble toute l’opposition à l’exception de l’UDF dirigée alors par François Bayrou. Chirac et l’UMP, complaisamment relayés par les médias, vont faire de l’insécurité leur cheval de bataille. Ce choix politique va marquer la campagne et sera déterminant pour son issue.

Jospin rate sa campagne

Lionel Jospin se déclare, lui, le 20 février par un simple communiqué à l’AFP mais la campagne du premier ministre ne « prend » pas. Jospin multiplie les maladresses (il traite Chirac de président « vieilli et usé »), il désoriente son électorat en affirmant que son « programme n’est pas socialiste ». Et puis il doit faire face à un éparpillement sans précédent de la gauche : huit candidats !

Malgré cela, l’optimisme est de rigueur à gauche et le 21 avril jusqu’à 17.00 les sondages sortis des urnes donnent Chirac et Jospin qualifiés pour le second tour. C’est vers 18.45 que les sondages s’inversent et que Le Pen émerge au détriment de Jospin. Silence de mort à l’Atelier, le quartier général de Jospin, situé dans le 3e arrondissement de Paris. Le regard perdu dans le lointain, Lionel Jospin s’affaisse. A l’annonce du résultat, les militants s’écroulent. Jospin dira aussitôt qu’il se retire de la vie politique. Il y a évidemment d’autres raisons à cette défaite que l’éparpillement des voix à gauche mais les divers candidats verts, radicaux, mouvement des citoyens, et trotskystes concurrents de Jospin totaliseront plus de 28 % des voix et le taux d’abstention se situe au même niveau (28,4 %). Il a manqué à Jospin 0,70 des suffrages : 194.000 voix ! Les partis démocratiques de gauche et de droite n’ont pas voulu voir monter le Front National. Ils n’ont pas su ou voulu le combattre quand ils ne l’ont pas instrumentalisé.

Dès le lendemain, et pendant tout l’entre-deux tours, des millions de manifestants vont protester contre la présence de Le Pen au 2ème tour. Vain, à contretemps et sans doute contre-productif. Dans leur immense majorité, les électeurs de gauche apporteront leur voix à Jacques Chirac pour battre Le Pen. Le 5 mai 2012, dans des conditions inédites et dramatiques, grâce au réflexe républicain, Chirac est réélu président de la République avec 82, 21 % contre 17,79 à Jean-Marie Le Pen. Mais le Front National est désormais durablement installé dans le paysage politique français.

Prochain épisode : 8. 2007 : Droitisation et renouvellement


Pour mieux comprendre l’histoire, le contexte et l’actualité de la campagne présidentielle, il faut lire le numéro spécial France de Politique : http://politique.eu.org/skeleton/nu…

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