« Ce qui nous soulève ? Ce sont des forces : psychiques, corporelles, sociales. Par elles, nous transformons l’immobilité en mouvement, l’accablement en énergie, la soumission en révolte, le renoncement en joie expansive. Les soulèvements adviennent comme des gestes : les bras se lèvent, les cœurs battent plus fort, les corps se déplient, les bouches se délient. Les soulèvements ne vont jamais sans pensées, qui souvent deviennent des phrases : on réfléchit, on s’exprime, on discute, on chante, on griffonne un message, on compose une affiche, on distribue un tract, on écrit un ouvrage de résistance. » Voilà comment Georges Didi-Huberman définit les « Soulèvements » tels qu’il les présente dans l’exposition dont il est le Commissaire Général au Jeu de Paume à Paris. [[Soulèvements jusqu’au 15/01/17 au Jeu de Paume – 1 Place de la Concorde – Paris 8e – www.jeudepaume.org Voir aussi Hugues Le Paige, Rimages : « Aux larmes citoyens ! », Politique n° 97, novembre-décembre 2016 http://politique.eu.org/spip.php?article3483]]
Gustave COURBET, Révolutionnaire sur une barricade
© Musée Carnavalet / Roger-Viollet.
« Ce sont donc des images, auxquellles cette exposition est consacrée, ajoute le Didi-Huberman. Images de tous les temps, depuis Goya jusqu’à aujourd’hui, et de toutes natures : peintures dessins ou sculptures, films ou photographies, vidéos, installations, documents… ». Au début une toile de Michaud, ensuite une installation de Lorna Simpson, un dessin de Courbet, un texte de Victor Hugo, un cinetract de Godard, une photo de Gilles Caron sur les émeutes à Londonderry et à la fin une vidéo tournée pat Maria Kourkouta en plans fixes : des réfugiés traversent les frontière entre la Macédoine et la Grèce à Idomeni. « Il y aura toujours des « soulevés pour « faire le mur » commente Didi-Huberman.
Maria KOURKOUTA, Idomeni, Video 2016© Maria Kourkouta
Pas de chronologie mais des associations, des images qui dialoguent et brassent les siècles et les révoltes, de la Révolution française aux luttes contemporaines d’émancipation, de la Commune de Paris à la guerre d’Espagne. Aux cris s’ajoutent les mots et le texte côtoie l’image. Une exposition transdisciplinaire conçue par le philosophe et penseur de l’image qui lui-même traverse les frontières intellectuelles et puise à toutes les sources de la recherche.
Victor Hugo,Anniversaire de la révolution de 1848, 1855
Dans Actes et paroles. Pendant l’exil, BNF.
A l’heure où nous sommes assiégés par le flot des images et des émotions marchandisées, il fallait un intellectuel comme Didi-Huberman pour nous dire, à travers cette exposition, qu’ « inventer des images contribuait – ici modestement, là puissamment- à réinventer nos espoirs politiques »[[ Introduction au catalogue de l’exposition]]. D’autres auraient cédé à la tentation d’une exposition-spectacle, lui revendique une scénographie volontairement sobre et il nous disait, le jour du vernissage, combien il était frappé par le silence qui régnait durant le parcours des premiers visiteurs. Et, il est vrai que l’émotion qui s’en dégage n’est jamais incompatible avec une distanciation. C’est l’évidence quand on sait que le dernier ouvrage de Didi-Huberman qui a, en quelque sorte, servi de fondement théorique à l’exposition, est une réhabilitation (sous conditions) de l’émotion et des larmes. [[Georges Didi-Huberman, « Peuples en larmes, peuples en armes, L’œil de l’histoire, Les Editions de Minuit, Paradoxe, 2016. Voir le numéro de Politique déjà cité]] « Quand se plaindre devient porter plainte alors, dit-il, commencent le soulèvement des peuples, le mouvement d’émancipation, voire la révolution elle-même. »
Willy Römer, La Revolution de novembre 1919
Eléments (déchainés), Gestes (intenses), Mots (exclamés), Conflits (embrasés), Désirs (indestructibles) les cinq parties de l’exposition sont un montage – au sens filmique du terme- d’images porteuses d’éthique qui nous interrogent sans cesse sur leur sens symbolique et parfois leurs propres contradictions. Une série de petites photos rapportent le combat des Spartakistes en 1919 à Berlin. Pour se protéger et construire une barricade, les révolutionnaires ont entassé des rouleaux de papier journal, sortis d’une imprimerie. Le papier où tout n’est pas encore écrit comme la dernière (l)arme des révoltés.
Gilles CARON, Manifestations anticatholiques, Londonderry, Irlande du Nord, août 1969© Gilles Caron / Fondation Gilles Caron / Agence Gamma
Cette exposition tout en retenue dans sa mise en scène est
cependant bouleversante en ce qu’elle évoque bien des défaites mais dont la mémoire reste porteuse d’espoir. « Se soulever, dit en conclusion Didi-Hubermann c’est briser une histoire que tout le monde croyait entendue (…) : c’est rompre la prévisibilité de l’histoire, réfuter la règle qui présidait, pensait-on à son développement ou à son maintien. »