Le temps des ouvriers, le temps du cinéma

A propos des films de Stan Neumann « Le Temps des ouvriers », diffusé ce 28 avril sur Arte et à voir sur Arte-tv jusqu’au 26 juin.

Ouviers sur les docks de la Seine devant la Tour Eiffel

On a beau connaître l’impressionnante filmographie de Stan Neumann, on reste à chaque fois époustouflé par sa capacité à s’emparer de sujets fondamentaux pour la compréhension de notre société et de son histoire[1] et à en faire en même temps des objets de pur cinéma. La série de quatre films « Le Temps des Ouvriers » diffusés[2] par Arte[3] à partir de ce 28 avril illustre à merveille cette synthèse de l’art cinématographique et de la représentation historique. Du XVIIIe siècle à aujourd’hui, Stan Neumann évoque la naissance, la condition, les combats, les conquêtes et les défaites de la classe ouvrière en Europe. Dans une subtile architecture filmique, avec une écriture à la fois stimulante et attirante, mais toujours dans la rigueur historique, le réalisateur entremêle archives, témoignages, analyses politiques et philosophiques et animation. Avec toujours cette obsession de traiter le spectateur en interlocuteur.

Cette « naissance d’une classe », son exploitation et sa montée en puissance et finalement sa transformation progressive au fil de la désindustrialisation donnent à Stan Neumann l’occasion d’un film d’anthologie. Le fil rouge en est le temps volé, cette aliénation dont on mesure peu à peu, mais avec évidence, qu’elle n’a jamais fondamentalement changé. L’exploitation de l’homme par l’homme — sous différents régimes — n’a pas varié sous les latitudes et selon les époques. Les conditions de travail ont technologiquement évolué, leurs contraintes ne se sont pas modifiées. Stan Neumann nous livre à la fois une époque et une permanence. Mais ce travail sur le temps, le réalisateur le soumet aussi à son œuvre cinématographique. Si les 4 épisodes (Le Temps de l’usine, Le Temps des barricades, Le Temps à la chaîne, Le Temps de la destruction) se déclinent chronologiquement, au sein même des épisodes, le réalisateur confronte les époques à travers des témoignages anachroniques ou par la voix off (mesurée, maîtrisée) de Bernard Lavilliers — il fallait y penser — fait merveille.

En cette époque de crise où les métiers négligés ou même méprisés ont démontré qu’ils tenaient en main la vie et l’avenir de la société, cette histoire du prolétariat est exemplaire[4]. Elle nous montre aussi qu’au fil du temps le sort des exploités n’a pas changé. Celui des exploiteurs, non plus.

[1] De « La Langue ne ment pas », journal écrit par Victor Klemperer sous le Troisième Reich (90 min, Arte, novembre 2004 à » Lénine/Gorki, la Révolution à contretemps » [90 min, Zadig Productions, Arte 2017] en passant par d’innombrables films sur l’architecture, la littérature, la peinture ou la photographie.

[2] Coproduit par les Films d’Ici et Arte. À regarder aussi sur Arte-tv jusqu’au 26 juin 2020 :

[3] Il est bien que de temps en temps Arte se rappelle qu’elle a des lettres de noblesse dont elle est redevable.

[4] Même si Stan Neumann serait réticent sur l’adjectif !

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1 réponse à Le temps des ouvriers, le temps du cinéma

  1. Xavier Zeegers-Jourdain dit :

    Bien que n’ayant jamais été universitaire, (enseignement professionnel à St Gilles) je me rendais souvent à Leuven ( où se trouvait alors l’UCL) pour de nobles motifs en rapport avec mon âge : draguer les filles, participer aux manifs des students francophones assez marqués à gauche à l’époque ( moi aussi : péché de jeunesse) contre les extrémistes flamands fascisants ( à nos yeux) qui nous traitaient de « franse raten » et il y eût des bastons assez mémorables, mais sans dégâts cérébraux dus aux matraques qui volaient. (Quoique… Il paraît que j’ai un peu viré à droite : une séquelle?) Mais j’appréciais aussi beaucoup les débats, conférences, meetings dans les auditoires en soirée. Un jour j’ai remarqué sur un pupitre un graffiti qui m’a fait sourire : « Le capitalisme c’est l’exploitation de l’homme par l’homme, le communisme c’est le contraire ». Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis, et nous avons deux unifs apaisées, fraternelles me dit-on, dont je ne doute pas des qualités, comme quoi il ne faut jamais dramatiser. Mais une chose qui n’a pas changé il me semble c’est la justesse de ce slogan qui à lui seul valait le déplacement. Car il sous-tendait donc que le juste combat du monde ouvrier – si éloigné pourtant des jeunes étudiants privilégiés- est d’abord celui de la dignité, mais aussi qu’aucune société totalitaire n’est habilitée à prétendre y contribuer, même à elle seule. Et surtout seule. Je me suis souvenu de cela lorsqu’un électricien syndicaliste à Gdansk à prouvé cela en août 1980. On connait la suite, déjà bien longue. Et les choses ne se sont pas simplifiées pour autant. Il faut montrer ces quatre épisodes dans les écoles secondaires, à coup sûr. Car avant de changer le monde, il faut d’abord le comprendre. Si possible…car visiblement la simple connaissance ne suffit plus.

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