Italie : Meloni, l’Europe, la Natalité et le Mérite

La Famille – Ferdinand_Georg_Waldmüller_ (1793-1865)

Cette fois la victoire de l’extrême droite et de la droite entre de plain-pied dans la réalité quotidienne des Italiens. La désignation du gouvernement Meloni, ce 22 octobre, donne la mesure du bouleversement culturel et politique que constitue cette première dans un pays dont la constitution est basée sur l’antifascisme. Fidèle à la manière dont elle a conduit sa campagne électorale, Giorgia Meloni, a construit son équipe gouvernementale dans le double souci de « rassurer Bruxelles et les marchés » comme on dit dans un habituel pléonasme médiatique, et de donner des gages à son électoral traditionnel pour qui l’heure du triptyque « Dieu, Famille, Patrie »  a sonné.

Pour arriver à ses fins et asseoir définitivement son autorité, Meloni a su imposer son autorité à ses alliés. Matteo Salvini a dû renoncer au ministère de l’Intérieur où il comptait poursuivre la politique anti-immigrée qu’il avait menée sous le gouvernement Conte 1. Il sera, avec moins de poids politique, ministre aux Infrastructures. Sa défaite électorale ne lui permettait pas d’exiger davantage. Silvio Berlusconi a donné plus de fil à retordre à la Première ministre. Berlusconi qui pour des raisons d’intérêt personnel voulait contrôler la justice et les médias s’est vu sèchement recadré par son alliée. Le leader vieillissant de Forza Italia a dès lors multiplié les déclarations aussi fracassantes que pathétiques, notamment sur son amitié avec Poutine avec qui il affirmait avoir « renoué ». Voulait-il encore une — dernière — fois attirer micros et caméras ou entamait-il là son travail de sape du gouvernement Meloni ? Sans doute les deux sont-ils vrais. Mais le fait est qu’il a dû renoncer à ses prétentions.

Dans la souffrance, mais après  avoir triomphé des embûches posées par ses alliés, Meloni a pu composer l’équipe qui devait répondre à ses exigences à la fois européennes et identitaires. Pour les premières, elle n’a pas lésiné. En nommant Giancarlo Giorgetti (Lega, mais pro européen) ancien ministre de Mario Draghi à l’économie et aux finances, la présidente du conseil confirme qu’elle mettra ses pas dans la politique libérale de son prédécesseur. La nomination d’Antonio Tajani aux Affaires étrangères complète les assurances données à Bruxelles. Tajani, ex-bras droit de Berlusconi dont il s’est aujourd’hui « autonomisé », est un atlantiste et européen avéré. D’autres nominations vont dans le même sens.

Pour répondre à son identité historique, Meloni a désigné quelques personnalités emblématiques de l’extrême droite ou de l’ultra conservatisme. Et surtout, dans le même esprit, elle a renommé des ministères symboliques. Le Ministère de la Famille et de la parité se voit affublé du vocable complémentaire de la Natalité. Le département de l’Instruction devient aussi celui du Mérite. Celui de l’Agriculture est désormais accompagné de l’appellation « souveraineté alimentaire ». La tutelle de la Famille et de la Natalité revient à Eugenia Maria Roccella, ancienne militante en faveur de l’avortement qui a aujourd’hui rejoint le camp adverse et qui déclarait encore durant la campagne électorale que « l’avortement n’est pas un droit ».[1]

Même si Giorgia Meloni poursuit sa politique sur ces deux lignes, les droits des femmes, mais aussi  ceux des lgbt+ et des immigrés seront les premiers menacés par ce gouvernement le plus à droite de l’histoire italienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Encore sous le choc, la gauche, les partis démocratiques et antifascistes commencent à s’interroger sur leurs propres responsabilités dans ce tournant historique et se demandent comment construire une alternative crédible. Le débat sera long et difficile.

[1] Le 25/08/22 sur la chaîne La 7

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6 réponses à Italie : Meloni, l’Europe, la Natalité et le Mérite

  1. Ouardia Derriche dit :

    Nous sommes sous le choc. Comment un pays comme l’Italie, qui a eu un parti communiste aussi puissant, vainqueur du fascisme et dont la constitution a inscrit l’antifascisme dans ses fondements, a pu en arriver là? C’est un cauchemar éveillé. C’est aussi la manifestation de la force de frappe de l’idéologie néolibérale et de l’impact de la crise économique sur les retournements des masses populaires.

    1. Guy Leboutte dit :

      La même question vaut pour la culture. Pour ce pays où les moindres places sont couvertes d’oeuvres des siècles passés, je me souviens de la phrase d’un grand écrivain européen, « La culture ne nous aura pas sauvés ».
      La philosophe italienne Michela Marzano qui vient d’écrire « Mon nom est sans mémoire », affirme que son pays n’a jamais regardé en face le passé fasciste.
      Et Alain Badiou parle en riant du « pétainisme transcendantal » français.
      …Je me demande si la religion catholique n’y est pas pour quelque chose, quand on compare la collaboration avec l’occupant nazi en France aux réactions des pays protestants occupés, Danemark et Pays-Bas, et qu’on observe les succès de Salazar, Franco et Mussolini ailleurs.

  2. Eva Houdova dit :

    Merci Hugues pour ton analyse, je suis triste pour des italiennes qui voudraient se faire avorter..

  3. Mario Caciagli dit :

    Bene, analisi perfetta, caro Hugues.
    Che triste epilogo per la nostra Italia!
    Un saluto antifascista,
    Mario

    1. Hugues Le Paige dit :

      Grazie Mario. Il tuo giudizio e importante per me. Hugues

  4. Michel Bossut dit :

    Merci Hugues de nous informer continuellement et si bien sur la situation politique en Italie.

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