Italie : les fleurs empoisonnées du Palazzo Madama

La victoire de l’extrême droite lors du scrutin du 25 septembre dernier a été riche en symboles que ce soit sur le plan politique, sociétal, institutionnel et même constitutionnel[1]. Mais on a vécu le plus fort d’entre eux hier lors de la première réunion du Sénat[2] et l’élection de son président. Le plus fort parce que ressenti désormais non seulement par les discours mais aussi par la personnalité des êtres en chair et en os qui ont incarné sous nos yeux une  passation de pouvoir.

Il revenait au membre le plus âgé du sénat de présider la séance inaugurale de la Haute assemblée et de faire procéder à l’élection son nouveau président. C’est donc Liliane Segre, sénatrice à vie, rescapée de la Shoah, militante infatigable de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui allait devoir transmettre la charge de deuxième représentant de l’état au représentant des Fratelli d’Italia, Ignazio La Russa. Aucun contraste politique ne pouvait être aussi fort.

Liliana Segre qui était il y a peu encore sous protection policière en raison des menaces proférées à son encontre par des groupes fascistes a été de tout temps la cible de l’extrême droite. En novembre 2019, le parlement italien avait adopté la création d’une commission parlementaire chargée de lutter contre les manifestations d’intolérance, de racisme, d’antisémitisme et d’incitation à la haine et à la violence, communément appelée commission Segre. La droite (Forza Italia) et l’extrême-droite (Lega et FdI) s’étaient abstenus lors du vote. Hier donc, ces derniers ont dû faire bonne figure en écoutant le discours — de haute tenue — prononcé par Liliana Segre et ravaler plus ou moins discrètement leurs penchants idéologiques. Ils ne pouvaient tout à fait s’abstenir de se joindre aux nombreux applaudissements qui ont salué l’intervention de la présidente d’un jour mais leur retenue et leur langage non verbal en disaient long sur la nature obligée de l’exercice.

La sénatrice a décrit le « vertige » que lui provoquaient les circonstances : présider l’assemblée un siècle après la marche sur Rome qui concrétisa la prise de pouvoir de Mussolini. Un sentiment encore plus aigu quand elle se remémore « qu’à l’époque l’école commençait en octobre et, ajoute-t-elle, il m’est impossible de ne pas éprouver une sorte de vertige quand je me souviens qu’un jour comme celui-ci en 1938, je fus cet enfant, inconsolable et perdu, obligé par les lois raciales de quitter son banc d’école primaire et alors qu’aujourd’hui par un étrange destin, je me retrouve sur le banc le plus prestigieux du sénat. » Liana Segre a insisté avec force sur le rôle essentiel d’une constitution basée à la fois sur l’antifascisme et le droit au travail. Son discours a été salué par une « standing ovation » dont nul n’a pu se soustraire. Le contraste ne pouvait être que plus spectaculaire quand Ignazio La Russa qui venait d’être élu à la présidence[3] noya Liliana Segre sous un tombereau de fleurs et de compliments, précisant, non sans hypocrisie, qu’il avait applaudi chacun des mots qu’elle avait prononcés. Les règles démocratiques étaient, comme il se doit, respectées, mais on ne peut s’empêcher de penser que parfois elles s’illustrent dans l’indécence.

On a toutes les raisons de penser qu’Ignazio – Benito de son second prénom — La Russa sera bien incapable d’« être le président de tous » comme il l’a promis dans son discours d’intronisation. La Russa est l’une des personnalités les plus clivantes de l’extrême-droite. Personnage qui cultive la démesure, il maquille son radicalisme par une gouaille fortement soulignée par sa voix forte et éraillée qui laisse peu de place à ses interlocuteurs. Le 15 septembre dernier, encore, il déclarait lors d’un débat télévisé : « Nous sommes tous les héritiers de Mussolini ». On peut donc douter de sa capacité à diriger les débats sénatoriaux dans la sérénité. Jamais sans doute l’expression « la fonction créée l’organe » ne sera mise a aussi rude épreuve.

Et la Chambre qui vient, ce vendredi midi, d’élire Lorenzo Fontana (Lega) se promet aussi des lendemains agités. Lorenzo Fontana, 42 ans, proche de Matteo Salvini » est un catholique ultraconservateur, anti avortement et anti lgbt qui publie des images saintes sur les réseaux sociaux. C’est lui qui lors d’un colloque de l’Association « Pro Vita » déclarait  que les mariages gay et la théorie du genre, d’un côté et  l’immigration massive, de l’autre « visent à effacer notre communauté et nos traditions ».

Avec l’arrivée aux plus hautes charges de l’état, de ces deux présidents, parfaitement représentatifs de l’extrême droite italienne, on entre dans le « dur » de ce que représente concrètement la victoire de Girogia Meloni.

 

 

[1] Voir mes Blog-Notes du mois de septembre et octobre sur le sujet.

[2] Que l’on appelle à Rome le « Palazzo Madama » du nom du palais qu’il l’abrite.

[3] Sans les voix de Forza Italia, signe des difficultés au sein de la majorité, Berlusconi exigeant un portefeuille important pour une de ses protégées dont les compétences semblent échapper à Giorgia Meloni. On y reviendra.

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8 réponses à Italie : les fleurs empoisonnées du Palazzo Madama

  1. Vander Heyden dit :

    Merci de cette illustration claire de ce qui attend l’Italie.

  2. Ausseil dit :

    « L’histoire ne se répète pas, elle balbutie …… »

  3. Marcelle Padovani dit :

    Excellent! Bravo Hugues
    Marcelle

  4. mario caciagli dit :

    Molto bene, caro Hugues.
    Speriamo bene.
    Un saluto dall’Italia minacciata.

  5. Stéphane Grégoire dit :

    Merci pour cet article Hugues. Une incroyable réalité glaçante…
    Stéphane

  6. renelde dupont dit :

    remarquable article Hugues

  7. Eva Houdova dit :

    Merci Hugues pour cet article éclairant, on croit halluciner, tellement je croyais ces faits impossibles.. et en Italie, en plein Europe..

  8. Musitelli Jean dit :

    Bravo Hugues.
    La grande presse française se serait honorée à en faire ses gros titres. Mais non, rien, on préfère détourner le regard. Cela me rappelle la complaisance honteuse dont cette même presse avait fait preuve il y a un siècle au moment de la prise du pouvoir par Mussolini.
    Jean

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