Giorgia Meloni persiste et signe : elle confirme la double stratégie qu’elle avait mise en place durant sa campagne électorale victorieuse. D’un côté, rassurer Bruxelles et les marchés et de l’autre, conforter l’électorat traditionnel de l’extrême droite. Il y a donc deux versants à sa politique qui peuvent paraitre contradictoires, mais qui en fait résultent de ces noces — inédites en Italie — du néolibéralisme et de l’extrême droite autoritaire. Déjà, on peut constater que cet assemblage produit une radicalité certaine sur le plan idéologique et politique même si on n’en mesure pas encore toute l’ampleur. Mais il est vraisemblable que ce gouvernement tentera d’être d’autant plus autoritaire sur le plan des libertés et plus restrictif sur les questions sociétales qu’il devra faire des concessions sur le plan économique.
Sur ce chapitre, lors de sa première visite à Bruxelles, le 3 novembre, devant les instances de l’Union, Meloni a tenu un discours que n’aurait pas renié Mario Draghi : réaffirmation du soutien inconditionnel à l’Ukraine, respect des traités européens, contrôle des déficits budgétaires et le tout sans le moindre accent souverainiste. La Première ministre confirmait ainsi son réalignement politique qu’indiquait déjà la nomination de quelques ministres majeurs de son cabinet (affaires économiques et affaires étrangères notamment[1]).
Sur l’affirmation de son identité idéologique d’origine, Meloni a mené une opération sur quatre fronts. Tout d’abord sous un autre aspect de la formation de son gouvernement où des ministres européistes et néolibéraux cohabitent avec quelques figures venues en droite ligne du fascisme. C’est le cas de plusieurs secrétaires d’État, dont Galeazzo Bignami, vice-ministre des Infrastructures, photographié en 2005 en chemise noire et brassard nazi (« pour une fête privée », précise l’intéressé). Toujours sur le plan idéologique, ce 9 novembre, jour anniversaire de la chute du Mur de Berlin, le ministre de l’Instruction et du Mérite, Giuseppe Valditara a écrit sa première lettre aux étudiants pour les mettre en garde contre tous les maux du communisme. Pour l’historien Enzo Traverso, le ministre Valditara tente d’instituer l’anticommunisme comme idéologie d’État. Il s’inscrit d’ailleurs dans la tradition berlusconienne qui pendant 20 ans a construit son hégémonie sur un anticommunisme sans communisme. Aidé en cela par une gauche qui par opportunisme a largement contribué à l’effacement de la mémoire historique du communisme italien. Pour Enzo Traverso, « la conception que ce ministre a de son rôle est semblable à celui qui existait dans les régimes totalitaires qu’il prétend condamner ».[2] Il faut noter que le même ministre n’a pas jugé utile d’écrire aux étudiants à propos du centenaire de la marche sur Rome qui porta Mussolini au pouvoir. Dans le même registre, le nouveau président du Sénat, Ignazio La Russa qui faisait partie de l’aile dure du MSI a d’ores et déjà déclaré qu’il ne participerait pas aux manifestations du 25 avril qui célèbrent la Libération de l’Italie et la victoire sur le fascisme parce qu’elles « sont l’apanage de la gauche ». Ce combat idéologique a le mérite de la clarté.
Ensuite c’est sur le plan législatif que le gouvernement Meloni a donné un aperçu de ses intentions autoritaires et liberticides. Sous prétexte de mettre fin à un rave party non autorisé, le gouvernement a présenté un décret qui instituait un nouveau délit punissant « l’invasion de terrains ou de bâtiments (privés ou publics) pour des rassemblements dangereux pour l’ordre public, la sécurité ou la santé publique ». Une nouvelle « norme » qui pouvait s’appliquer à toute occupation d’usine, d’école ou d’université. La peine sanctionnant ce nouveau délit « générique » prévoyait jusqu’à 6 ans d’emprisonnement, ce qui permettait en outre les arrestations préventives et les écoutes téléphoniques. Devant le concert de protestations de toutes les forces démocratiques et de réticences y compris au sein du gouvernement, tout en justifiant le fond de l’initiative, Meloni a dû faire marche arrière. Mais on ne sait pas encore ce qui subsistera du projet initial.
Enfin, autre combat prioritaire de l’extrême droite : celui qu’elle mène contre l’immigration. Meloni a refusé le ministère de l’Intérieur à Matteo Salvini, mais ce n’est pas en raison de divergences de fond. A la place de son intempestif allié de la Lega, elle a placé l’ancien chef de cabinet de ce dernier qui s’est empressé d’appliquer la politique qu’il avait déjà mise en œuvre sous Salvini. Blocage des navires humanitaires, refus d’accueillir les naufragés, refoulement des réfugiés. Jusqu’à provoquer une crise inédite avec la France forcée de recevoir un des navires, mais qui menace déjà de représailles. Crise qui témoigne, par ailleurs, du cynisme généralisé de l’Union européenne dans sa politique migratoire.
En tous cas, le tableau est dressé. Meloni fera ce que l’Europe attend d’elle en matière socio-économique, mais la Première ministre italienne entend bien imposer sans complexe et sans concession la politique de l’extrême droite qui l’identifie. Et on s’interroge sur la capacité et la force de résistance nationale et européenne qui lui sera opposée.
[1] Voir le Blog-Notes : https://leblognotesdehugueslepaige.be/italie-meloni-leurope-la-natalite-et-le-merite/
[2] Il Manifesto 10/11/2022
Merci pour cet éclairage HALLUCINANT . Agés et vieux: est-ce bien nous qui avons engendré tout çà?
Purtroppo, Hugues. Verrà anche peggio…