Le geste de la main de Nicolas Sarkozy impose le silence à la journaliste qui tente de lui poser une nouvelle question sur l’affaire Clearstream. Le président veut aller au bout de sa phrase…et il y va. Et Sarkozy, loin de l’improvisation, de qualifier les inculpés (dont de Villepin, donc) dans un procès en cours de « coupables » ! Lapsus ou non, peu importe finalement : qu’un président de la république, gardien théorique de l’indépendance de la justice, mais aussi partie civile dans le procès concerné utilise le mot de
« coupable » pour désigner ses adversaires dans le prétoire et cela sans rectifier par la suite est énorme. La situation était déjà inédite, on l’a suffisamment souligné, avec un chef de l’état qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, nomme des magistrats, jouit de l’immunité juridique et qui s’autorise en même temps d’être partie civile dans un procès où est inculpé son ancien et plus important rival politique.
Mais mercredi soir dans cet entretien télévisé diffusé en direct depuis New York, on peut considérer qu’un événement de taille s’est produit, de nature à mettre en cause des règles fondamentales de la république.
Il se fait que j’étais à ce moment-là – cela n’arrive pas si souvent- devant mon petit écran. Au mot « coupable », j’ai bondi ( rien d’extraordinaire, le moindre observateur un tant soit peu averti de la chose politique a fait de même dans son fauteuil) et j’ai re-bondi aussitôt en constatant que les deux journalistes (de TF1 et FR2) ne bronchaient pas, faisaient comme si de rien n’était ( ils avaient fait preuve depuis le début de l’entretien d’une déférence sirupeuse)… ou n’avaient rien remarqué ( ce qui est le plus vraisemblable mais pas moins dramatique). Il fallait voir le JT de FR2 du lendemain présenté par le même journaliste qui la veille interviewait distraitement Nicolas Sarkozy faire le service minimum sur le « lapsus présidentiel » sans se rendre compte du ridicule de sa propre situation. On était, de ce point de vue, dans la continuité médiatique.
Un mal ronge plusieurs vieilles démocraties européennes : la confusion absolue des pouvoirs. Pendant que Berlusconi qui maîtrise la télévision qu’elle soit publique ou privée fait des procès à la presse qui le critique, Sarkozy mélange allègrement pouvoir politique et judicaire. Le vrai-faux lapsus sarkozien illustre cette dérive qui jusqu’ici ne semble pas vraiment émouvoir au-delà des cercles directement concernés. Inquiétant.