Elections italiennes (2) : le Grand soir de Grillo

Mercatale,23 février 2013

Pari gagné. Hier soir à Rome pour la clôture de sa campagne (son « Tsunami Tour ») Beppe Grillo a rempli la Piazza San Giovanni : plusieurs centaines de milliers de participants avaient répondu présents pour assister à ce que Grillo lui-même appelait son « 77ème spectacle » de la campagne. Aucun parti n’en serait capable aujourd’hui. Et pied de nez supplémentaire, il avait choisi LE lieu symbolique qui appartient depuis toujours à la gauche politique et syndicale : des funérailles de Togliatti ou de Berlinguer, des 1er mai de lutte à la dernière grève générale, il n’est pas un évènement majeur de son histoire que la gauche n’ait célébré Piazza San Giovanni.

Hier le « peuple des grillini » était comme depuis le début du « Movimento 5 Stelle » un savant mélange, de jeunes et de vieux, de déçus de la droite et de la gauche, d’abstentionnistes impénitents et d’électeurs qui « ont tout essayé », de chômeurs désespérés et de petits entrepreneurs maudissant « les taxes ». Tous réunis dans la conviction que « cela doit changer » et que tous les politiques – voleurs et/ou incapables- se valent. « Tutti a casa » hurle depuis un mois Beppe Grillo qui a fait le plein de toutes les places d’Italie sur fond de slogans qui peuvent aussi bien prendre des accents d’extrême gauche qu’emprunter une petite musique d’extrême droite. Grillo est comme Berlusconi, son double paradoxal, un vendeur de rêves : il promet tout et son contraire, la suppression des taxes immobilières (entre autres) et un salaire minimum de 1000 € pour tous, réduction drastique des dépenses (lesquelles ?) de l’Etat et l’internet gratuit pour tous. Il vante une démocratie directe en réseaux qui supprime les corps intermédiaires (notamment les syndicats) et montre le bout du nez quand il ne voit pas pourquoi les enfants d’immigrés nés en Italie auraient droit à la nationalité italienne, lorsqu’il lâche quelques propos xénophobes à l’encontre des Roms ou quand en réponse à une interpellation du groupe d’extrême droite Casa Pound, il affirme que « l’antifascisme ne le regarde pas ».

Entendons-nous, Grillo et son Mouvement n’ont rien à voir avec un quelconque « fascisme rampant » : ils expriment une confusion généralisée et démagogique matinée de poujadisme dans le cadre d’une culture (anti)politique moulinée par vingt ans de berlusconisme. Et ils répondent incontestablement à un rejet très largement partagé d’une classe dirigeante trop souvent empêtrée dans les affaires et qui s’obstine à protéger ses petits et grands privilèges.
S’il est essentiellement libéral sur la plan économique, sur la plan politique, Grillo est un antiautoritaire…autoritaire. Seul porte-parole d’un mouvement qui se veut sans structures ni responsables, Grillo en écarte sans retard ceux qui expriment des opinions divergentes. Il s’exprime exclusivement sur le mode du monologue et refuse tout dialogue ou toute confrontation avec les journalistes ou les adversaires politiques (les uns et les autres faisant partie de la même « caste » à éliminer). Prédicateur autant qu’acteur, Beppe Grillo n’a rien à commun avec un Coluche (comme s’obstine à l’écrire une bonne partie de la presse francophone). Grillo n’est pas (ou n’est plus depuis longtemps) un comique provocateur cultivant la dérision – comme l’était Coluche, y compris lorsqu’il annonçait sa candidature présidentielle-, l’acteur génois se prend au sérieux, terriblement au sérieux.

A droite comme à gauche, on l’a sans doute trop longtemps sous-estimé. Et on a surtout négligé le sentiment de rejet qu’inspiraient les pratiques politiques dominantes. Mardi, le Mouvement 5 Stelle enverra sans doute une centaine de députés au Parlement. Il est possible que son score élevé contribue (en s’ajoutant aux voix berlusconiennes) à empêcher toute majorité et à rendre l’Italie ingouvernable. Ce que feront ensuite ces élus est une autre histoire. Ces derniers mois au niveau local (Parme) ou régional (en Sicile ou le Mouvement est désormais le premier parti), les élus du Mouvement se sont confrontés au réel et à la gestion avec un pragmatisme évident et inévitable. Le pouvoir de nuisance du « Grillisme » est sans commune mesure avec sa capacité « révolutionnaire »

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