Elections italiennes (3) : le spectre du « berlusco-grillonisme »

Mercatale, 24 février 2013

La 10ème section du siège électoral de la commune de Mercatale Val di Pesa (Toscane) a ouvert ses portes ce matin à 8 heures. On pourra y voter jusqu’à 22 heures ce soir et encore demain jusqu’à 15.00 heures. Comme probablement la majorité des habitants de Mercatale, Carlo Giuntini, ancien militant et responsable de la section locale de l’ex-PCI, a voté pour le Parti Démocrate (PD-Centre gauche) sans enthousiasme et avec une certaine appréhension quant à l’issue du scrutin qui est l’un des plus indécis de ces dernières années.


Mercatale : la 10eme section…

Carlo Giuntini, comme bien des électeurs de gauche ne se fait guère d’illusions sur les perspectives politiques du centre gauche mais son vote répond à trois exigences : se débarrasser une fois pour toutes (tant que faire se peut…) de Silvio Berlusconi, auteur d’une campagne agressive et efficace, barrer la route à l’antipolitique de Beppe Grillo et de quelques autres, ne pas se retrouver dans un pays ingouvernable. L’air – et les rapports de forces- ne sont pas aux réels changements radicaux mais pour Guintini et ses amis progressistes de Mercatale, l’objectif de retrouver une « démocratie normale » est une aspiration profonde après vingt ans d’un berlusconisme qui a imposé son hégémonie idéologique parfois jusque dans les bastions réputés inexpugnables de la gauche italienne.


Un vote PD, une vieille tradition à Mercatale

Dans le contexte actuel, la seule coalition vraisemblable, et souhaitée par toutes les chancelleries occidentales, serait sans doute un gouvernement Bersani-Monti. Les programmes du centre gauche et du centre droit se rejoignent sur de nombreux points : ils s’inscrivent dans une logique d’austérité européenne avec naturellement des accents différents notamment en matière d’emploi et de droits sociaux. Au cas où les urnes rendraient cette coalition possible, resterait la question du sort de la gauche de Nicki Vendola (SEL) allié au PD de Bersani mais sur des positions socio-économiques et sociétales nettement plus radicales. Mais, cela dit, rien n’est joué dans cette configuration politique qui est passée du bipolarisme traditionnel depuis 1994 à un affrontement quadripolaire inédit. On l’a vu durant la campagne, Beppe Grillo et le Mouvement 5 Stelle, en pleine ascension, se sont invités à la table des grands et risquent même de devenir la deuxième (et, en tous cas, le troisième) force politique italienne avec un exceptionnel pouvoir de nuisance. Silvio Berlusconi a mené une campagne tambours battants, utilisant toutes les ficelles et la puissance de ses télévisions…et de celles des autres. Il Cavaliere a sauvé son parti en perdition et l’addition des voix de l’antipolitique « berlusco-grilloniste » dépassera sans doute les 40 % du corps électoral, si elle ne frôle pas les 50 %. Ce qui en dit long sur l’état politique et idéologique de la société italienne. Du côté des partis de gouvernement, Pierluigi Bersani a mené une campagne efficace tendant à rendre au PD une identité rendue peu visible par sa proximité avec Monti. Mais on reste dans les nuances… Mario Monti, au contraire, a raté son entrée en politique, peinant à trouver un espace politique et se retrouvant à la croisée de toutes les critiques notamment en matière de fiscalité. Si, comme on le pense, les résultats sont nettement en dessous de ses espérances, il entrainera dans la défaite ses alliés du centre droit, qu’il s’agisse des démocrates-chrétiens de Casini ou de Futura e Liberta de Fini, tous deux pratiquement inaudibles durant la campagne.


Comme une aventure personnelle

La fragmentation de l’offre électorale et la puissance du courant protestataire laissent la porte ouverte à toutes les hypothèses. Et le système électoral (cette « cochonnerie » comme le dit son propre créateur l’ancien ministre de l’intérieur de la Ligue du Nord, Calderoni) est un autre facteur d’incertitude sinon d’instabilité. A la Chambre, si les sondages sont confirmés, le centre-gauche devrait être majoritaire. Mais au Sénat, la situation est beaucoup plus complexe. La loi en vigueur offre une forte prime aux représentations régionales. Le sort du scrutin se jouera en Lombardie et en Sicile, deux des régions les plus peuplées. Et dans ce cadre-là, la fragmentation jouera à plein. Une petite liste comme celle du magistrat Antonio Ingroia (Révolution civile) qui recycle les reliquats de groupes en perdition (Rifondazione Communista, Partito dei Communisti Italiani, Italia dei Valori) peut arracher au centre gauche les voix qui, au Sénat, manqueront pour faire pièce à Berlusconi. Etrange calcul d’une liste de gauche qui a pris des allures d’aventure personnelle. Demain, à Mercatale, comme dans toute l’Italie on fera les comptes d’une campagne dont l’issue la plus optimiste sera sans doute d’éviter le pire…

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