De la sidération à la dévastation, de la politique à la morale

L’affaire DSK avait, en son temps, plongé les socialistes dans la sidération, l’affaire Cahuzac les installe aujourd’hui dans la dévastation. Tout a été dit et redit sur le ministre fraudeur et l’abime politique où il a jeté ses amis politiques. On s’étonne cependant encore de cette naïveté teintée de toute puissance qui a conduit deux hommes d’une intelligence supérieure à croire que leurs frasques sexuelles ou fiscales resteraient cachées et impunies. Pour le reste, avec un peu de distance, ce qui frappe, c’est le torrent de moralisme qui a déferlé dans les médias et le monde politique [[Des lecteurs de ce Blog-Notes se sont étonnés de mon silence depuis le début de cette affaire qui entre dans le « périmètre » de mes commentaires habituels. Cette abstinence était décidée et justifiée par la volonté de ne pas en rajouter dans le genre dominant qui peut certes s’expliquer comme première réaction spontanée mais risque de paralyser la réflexion.]] au détriment, bien souvent, de considérations plus politiques et juridiques.


La gauche et l’endogamie avec le système

Le mensonge de Cahuzac ou plus précisément la révélation qu’il en a faite lui-même semble aux yeux de bien des commentateurs plus important que le délit commis. Comme ailleurs, aujourd’hui en Europe, la morale prend le pas sur la politique. Et cela s’explique en ces temps de crise marqués par l’incapacité ou l’impuissance des politiques – et en particuliers de la gauche quand elle exerce ou partage le pouvoir- à peser sur cette crise et à proposer des alternatives au « libéralisme réel » qui nous gouverne en nous enfermant dans une austérité meurtrière. Jérôme Guedj, un jeune élu socialiste qui appartient à la gauche du parti a illustré un autre aspect de la crise politico-morale: « Le dernier point sur lequel on pouvait distinguer du précédent quinquennat, celui de la morale politique, vient de passer par-dessus bord », disait-il. [[Le Monde 3 avril 2013]] Un autre député socialiste ajoutait sous le sceau de l’anonymat que « notre problème, c’est que majoritairement, ceux qui incarnent la gauche aujourd’hui sont endogames avec le système qu’ils sont censés combattre. Dans ce monde pour les Cahuzac, la fraude fiscale est somme toute quelque chose de normal »[[ Ibidem]]


Attention à la rhétorique du balai…

Au-delà de ce constat indiscutable, le moralisme ambiant empêche le plus souvent d’identifier la véritable nature de la crise française – mais aussi largement européenne, ne pensons qu’à la Grèce, l’Italie ou à l’Espagne-. De ce point de vue, Jean Luc Mélenchon fait très fort et illustre les dangers qui guettent la dénonciation moraliste quand il parle de la nécessité « d’un grand coup de balai(…) pour purifier cette atmosphère politique absolument insupportable ». Diable ! Le « balais » et « purifier » voilà qui rappelle le vocabulaire d’autres époques et d’autres horizons politiques… Le sociologue Christian Salmon, qui avait soutenu Mélenchon durant la campagne présidentielle, note justement à ce propos : « on ne peut penser le réel avec une syntaxe moraliste qui oppose les menteurs, les pourris, les bons et les autres ». [[Libération des 6 et 7 avril]] Salmon ajoute qu’ « avec l’affaire Cahuzac nous sommes à la confluence de deux crises majeures. 1. Décrédibilisation de la parole politique, amorcée il y a trente ans suite aux révolutions néolibérales et à la révolution des technologies et de l’information. 2. Perte de crédibilité de la signature de l’Etat, avec la crise des dettes souveraines. Le Cahuzac qui ment devant la représentation nationale est le même qui détient comme ministre du Budget la signature de l’Etat (…) Si l’affaire est explosive, c’est qu’elle est à la croisée de cette crise de souveraineté de l’Etat. En en faisant une crise morale, conclut Salmon, Mélenchon passe à côté de l’essentiel et, par les excès, accentue la perte de crédit dans la parole publique. »

On peut ne pas partager l’ensemble de l’argumentation de Christian Salmon (ou la nuancer) mais c’est bien à partir de ce type d’analyses (trop rares) que l’on pourra affronter la crise actuelle en termes politiques.

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