Dans un premier temps, il y eut le soulagement : faute d’élections anticipées, l’Italie ne sera pas dirigée par Matteo Salvini. L’accord conclu entre le PD et le M5S en vue d’une coalition a mis en échec la manœuvre du « Capitaine ». Mais l’évitement du pire a été interprété chez de nombreux commentateurs comme une victoire politique contre l’extrême droite. Les caricaturistes-en-chef de la presse francophone[1] expédiaient un Salvini à la mer. Certes, le leader de la Lega a raté son coup et, dans l’immédiat, il en paie les conséquences en termes de sondages et de popularité. Même si avec plus de 30 % des intentions de vote, il reste, et de loin, le premier parti d’Italie. C’est vrai, il n’occupe plus le devant la scène – Giuseppe Conte son contempteur d’une après midi – ayant pris la place.
On a provisoirement évité le pire mais rien n’est joué et il serait dangereux de considérer la victoire d’un « Tout Sauf Salvini » comme une victoire politique. Les institutions parlementaires et les jeux tactiques – légitimes – qu’elles autorisent ont permis de contrecarrer la tentative leghiste des « pleins pouvoirs »[2]. Mais l’accord PD-Cinque Stelle – accord de perdants au vu du dernier scrutin européen – ne modifie en rien les rapports de force au sein de la société italienne, il n’est évidemment pas – et pour cause – le résultat d’un combat politique et idéologique victorieux contre la Lega. Bien au contraire, Luigi Di Maio continue de revendiquer haut et fort la politique menée durant 14 mois (avec Salvini) et refuse jusqu’ici de remettre en cause les décrets sécurité et sur l’immigration. A l’heure où sont écrites ces lignes[3], la solution la plus vraisemblable demeure la formation d’un gouvernement Conte 2. Mais rien n’est totalement acquis. Di Maio charge la barque et tente d’imposer des ultimatums pour préserver son assurance vie politique, en l’occurrence le poste de vice-Premier Ministre en plus d’un département important. Conte qui se veut le nouveau leader des 5S et souhaite vivement se succéder à lui-même temporise.
Tout se jouera d’ici mercredi prochain. Lundi, les militants des Cinque Stelle seront consultés sur la plateforme Rousseau où, en l’absence de contrôle démocratique, tout est toujours possible. Et mardi, sauf nouvel accrochage, Conte devrait présenter son programme et sa liste des ministres au président Matarella. Mais plus fondamentalement, le doute subsiste sur la capacité des deux partenaires fortement antagonistes à partager un véritable programme de coalition, sans parler d’un projet politique capable de mobiliser les Italiens. Et si le gouvernement voit finalement le jour, il sera sans doute le fruit d’un bricolage qui risque de faire long feu. Pour le PD, dont l’objectif était d’éviter l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite – pour Di Maio il s’agit d’éviter les élections annoncées comme catastrophiques – une nouvelle crise serait alors dramatique. Et tout bénéfice pour Salvini. Di Maio et ses amis qui se voulaient l’anti système et s’apprêtaient à ouvrir le parlement comme une vulgaire « boite de thon » s’y sont coulés avec une aisance quasi démocrate chrétienne, adoptant rapidement la maxime de l’illustre Giulio Andreotti, « Le pouvoir use ceux qui ne l’ont pas »… Si un compromis est finalement trouvé, le PD et ceux qui l’accompagneraient au pouvoir[4], seront à la merci des manœuvres de Di Maio. Même si cette coalition était la seule solution pour barrer provisoirement la route à Salvini, elle risque de n’être qu’une illusion.
[1] Plantu dans Le Monde comme Kroll dans Le Soir croquaient un Salvini rejeté à la mer par les Italiens. Et Laurent Joffrin dans Libération titrait « Salvini : veni, vidi…pschitt ».
[2] Voir à ce sujet les derniers Blog-Notes.
[3] Ce dimanche 1er septembre à 14.00.
[4] On évoque la possibilité d’un soutien de ce qui subsiste du mouvement Liberi e Uguali, scission de gauche du PD en 2013 et depuis constamment défait aux élections.