Ukraine : assumer les contradictions pour la paix

Il faut pouvoir dire des choses complexes et apparemment contradictoires à propos de la guerre en Ukraine, sans être immédiatement diabolisé et désigné comme le suppôt de l’un ou l’autre impérialisme.

On ne peut approcher la réalité du conflit et tenter d’appeler à en sortir sans affirmer en même temps  que :

  • Poutine est l’agresseur qui mène une invasion sanglante du territoire ukrainien ;
  • Depuis des années, en dépit de leurs engagements, l’OTAN et les États-Unis ont voulu élargir leur zone d’influence jusqu’aux portes de la Russie ;
  • La guerre en Ukraine est double :

° Celle menée par une authentique résistance populaire qui défend légitimement sa souveraineté et sa liberté et qui a justifié un large soutien et  la fourniture d’armements défensifs.

° Celle menée par procuration par Washington et l’OTAN dans le but d’affaiblir la Russie (avec la perspective d’un futur conflit avec la Chine). Avec des armements de plus en plus offensifs, elle peut mener à l’affrontement mondial et nucléaire.

Outre, bien entendu, l’agression russe, c’est bien la superposition et la simultanéité de ces deux guerres qui rend la situation inextricable.

Entre ces deux pôles, il y a la distinction que commente le philosophe allemand Jurgen Habermas dans un article paru dans Le Monde[1]. Dans le premier cas, il s’agit de permettre aux Ukrainiens de « ne pas perdre la guerre ». Dans le second il s’agit de « vaincre la Russie ». Habermas souligne en passant « l’erreur de l’alliance occidentale, qui, dès, le début, a laissé délibérément dans le flou la Russie quant à l’objectif de son soutien militaire ». Plongés dans la guerre et sa cohorte de drames et d’horreurs, les belligérants ne veulent — et ne peuvent — faire le pas qui conduirait à des négociations.

Devant l’amoncellement des morts, mais aussi devant le fait que les armements ne sont pas inépuisables, Jurgen Habermas estime toutefois qu’il faut « pousser à faire des tentatives énergiques pour entamer des négociations et chercher une solution de compromis qui ne permette pas à la partie russe d’obtenir un gain territorial par rapport à la situation du début du conflit, mais lui permette de sauver la face. » Cela peut paraître un vœu pieux dans l’état actuel du conflit. Mais de l’impossibilité d’une victoire militaire de l’un des deux camps, telle que la soulignait récemment le chef de l’État-Major de l’armée américaine, le général Mark Miley[2], peut à un moment surgir un espace de prénégociations.

Toutes les guerres finissent à une table de négociations. Un des pères du pacifisme en Belgique, Jean Van Lierde disait qu’il fallait toujours essayer de tisser des fils fragiles entre des belligérants. Il disait que même ténus, discrets ou secrets, clandestins ou souterrains, ces contacts étaient la clef de la survie de l’humanité.

 

Dans la suite logique de ce texte, j’appelle à participer à la : Manifestation nationaleL’Europe pour la paix et la solidarité — Stop à la guerre en Ukraine ! qui aura lieu à Bruxelles le 26 février 2023, Gare du Nord – 13h

 

[1] Le Monde du 23 février 20223 (tribune parue dans le Süddeutsche Zeintung du 15 février 2023 : « Jurgen Habermas, Plaidoyer pour des négociations en Ukraine ».

[2] Voir le Financial Times du 16 février 2023

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26 réponses à Ukraine : assumer les contradictions pour la paix

  1. frederic dussenne dit :

    Merci

  2. meekel dit :

    je venais de lire le texte d’Habermas quand j’ai reçu ton BN. Bien d’accord sur la complexité de l’affaire, le texte de JH l’est aussi d’ailleurs. Urgence en effet de trouver des passages pour une négo, le risque grandit tous les jours dramatiquement d’une issue incontrôlée…

  3. Marc HANS dit :

    Je suis entièrement d’accord avec votre analyse.
    La Russie et la Chine sont les deux ennemis systémiques des USA.
    La fin de l’U.R.S.S. signifiait probablement aux yeux des USA la fin d’un ennemi mais c’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir de Poutine.
    Par la même occasion, les USA espèrent rendre l’UE à nouveau plus dépendante militairement et économiquement d’eux. (ce n’est que mon avis).

  4. Carminati Franco dit :

    Bonjour,

    Il est important en effet de rappeler le rôle de l’OTAN dans la situation actuelle ; rôle qui, au passage, n’est pas rappelé dans l’appel de la manifestation du 26 février, ce qui me semble fort regrettable.
    On pourrait utilement ajouter que l’Ukraine et la Russie avaient jeté des bases pour des négociations dès avril 2022 comme le confirment la Turquie et Israël qui s’étaient impliquées comme médiateurs : les USA et le Royaume-Unis ont mis leur énergie pour bloquer ces négociations ; confirmant leurs objectifs d’ailleurs clairement assumé d’affaiblir la Russie ; l’objectif du soutien militaire s’en trouve éclairci.
    Et il faudrait enfin rappeler que l’histoire ne commence pas le 24 février 2022 : comment ne pas mentionner par exemple le coup d’état en Ukraine de 2014 et les exactions qui s’en sont suivies envers la population russophone ayant fait, selon les chiffres de l’ONU, environ 14.000 morts.
    La population ukrainienne fait largement les frais d’un conflit qui la dépasse pour beaucoup et il faut certainement aller vers un arrêt du conflit et des souffrances qui en découlent ; cela sera grandement facilité par la reconnaissance claire des tenants et aboutissants.
    Pour plus de détails, je renvoie par exemple à l’article de Jeffrey Sachs https://www.other-news.info/what-ukraine-needs-to-learn-from-afghanistan-about-proxy-wars/

    Franco Carminati

    1. Maes dit :

      Si il y a eut des morts en Ukraine entre 2014 et 2022 , ils sont répartis de part et d’autre et si la Russie n’avait pas fomenté et armé la rébellion, il n’y aurait au aucun mort… Cela fait depuis 2004 qu eles dirigeants ukrainiens pro occidentaux demandent de faire partie de l’OTAN et de l’UE. La participation de l’Ukraine à l’OTAN n’a jamais été envisagée par la France , ni par l’Allemagne….donc dire que l’OTAN a voulu s’étendre est FAUX !

  5. genevieve De Neuter dit :

    merci beaucoup.

  6. Georges Bauherz dit :

    Drôle de raisonnement que celui de cette guerre double, Hugues.
    L’autre guerre serait donc celle de Washington et de l’OTAN qui cherche à s’élargir.
    On aurait pu s’attendre, au mieux, en se rappelant Jaurès et l’autre guerre de tranchées, celle de 14-18, à ce que tu considères que le contexte global est celui d’un affrontement inter-impérialiste, entre l’Europe, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, puissances dont aucune n’est innocente de visées hégémoniques et aucune n’est porteuse d’espoir social particulier. Et certainement pas la Russie, pays capitaliste sans faille et dont les visées expansionnistes en Afrique et dans les pays du Caucase sont manifestes. Et laissons sur le côté, pour le moment, le caractère plus ou moins démocratique de chacune des parties. Personne ne s’est fort soucié, à gauche, de la France au Tchad, de la Russie au Mali, de la Chine au Congo ou des USA au Rwanda.
    On pourrait alors dire, en même temps: « soutien à la résistance ukrainienne, et en particulier à sa résistance populaire » et « crosse en l’air et brisons les rangs ». C’est complexe mais compréhensible.
    Mais désigner l’OTAN comme « ennemi principal » a un relent de déjà entendu. Il y a quelque chose de cocasse, voire de tragique dans la posture d’une certaine extrême gauche. Alors que les ancêtres d’AMADA qui faisaient les yeux doux à Pékin considéraient l’URSS comme « impérialiste », « fasciste », « capitaliste », le PTB d’aujourd’hui, avec une certaine mouvance pacifiste, a des indulgences étranges pour le capitalisme russe actuel. Serait-ce de la nostalgie comme valeur-refuge?
    Non, toutes les guerres ne finissent pas à la table des négociations. Ni celles de 40, ni celle du Vietnam. Si les négociations ont lieu, et que les ukrainiens y participent, c’est tant mieux. Bravo. Mais c’est à eux d’en décider et pas à nous à faire pression. Et j’ignore comment le fantôme de Jean Van Lierde imaginerait tisser les fils entre belligérants? Entre Poutine, Biden et Macron, ou bien entre combattants?
    Le pacifisme  » de principe » a quelque chose de suspect quand il interpelle identiquement l’oppresseur et l’opprimé, l’agresseur et l’agressé.
    Je n’irai pas le 26, et j’espère que la gauche n’y sera pas.

    1. Hugues Le Paige dit :

      Il y a quelques procès d’intention dans ton interpellation, Georges. Je n’ai aucun complaisance envers la Russie dont je dénonce de prime abord l’invasion sanglante de l’Ukraine. Je ne vois où je mets agresseurs et agressés sur le même pied en indiquant la nécessité du soutien à l’Ukraine. je ne participe pas aux réglements de compte des vétero-groupsucules. Le 26, il n’y aura pas LA gauche, il y aura UNE gauche ( dont la FGTB), si tu veux bien admettre qu’il y en a plusieurs.

  7. Puissant dit :

    « Si l’Ukraine avait fait partie de l’OTAN, il n’y aurait pas eu de guerre… »

  8. Vander Heyden dit :

    Merci, Hugues, ton texte exprime très bien le point de vue que nous essayons de faire passer dans l’opinion. Merci aussi de citer Jean Van Lierde mieux que je n’aurais pu le faire.
    Nous sommes tous dans le milieu de la paix à vouloir exprimer un avis très difficile à faire entendre.
    Il est certain qu’il faut essayer la paix, même au moyen de fils fragiles. Il n’y a pas d’autre option possible.

  9. Jean Moulin dit :

    Merci Hugues. Je partage cette approche équilibrée et responsable. Replacer le conflit actuel dans le contexte de l’interminable feuilleton de la fin du monde soviétique et de la géostratégie offensive des « vainqueurs » euro-atlantiques autoproclamés de la guerre froide depuis 1991, voilà qui attire immédiatement l’accusation d’être un représentant du « parti russe ». Et pourtant la clé de la sortie de cette épouvantable guerre réside dans la prise en compte de ces facteurs. Pas dans les diatribes guerrières de ceux qui (malheureusement aussi à gauche) croient que l’histoire a commencé le 24 février 2022 et qu’il faut nous ranger tous sans exception derrière la bannière de l’OTAN. J’appelle bien entendu à manifester dimanche avec les mouvements de la paix (CNAPD et Vrede) même si les mots d’ordre retenus sont sur certains points trop timorés et élusifs.

    Je lis dans un commentaire que si l’Ukraine avait été admise dans l’OTAN il n’y aurait pas eu de guerre en 2022. Non, il y en aurait eu une plus tôt…

  10. André Deltour dit :

    Un reportage est actuellement disponible sur Auvio :

    https://auvio.rtbf.be/media/sonuma-ukraine-geopolis-plein-cadre-loin-de-moscou-dans-les-profondeurs-de-lukraine-2870205

    Il date de 1992 et a été réalisé par JM Chauvier. Il se passe en Ukraine au moment de « l’implosion » de l’URSS. Il y interview des jeunes parlant, entre parenthèse, admirablement bien le français. Aux environs de la 35è minute il leur lit une info relatant un risque potentiel de guerre entre la Russie et l’Ukraine. Rappelons que ce documentaire date de 1992. Je vous invite à le découvrir et en particulier ce qui y est dit à la 35è minute. C’est sidérant.

  11. F.Rop dit :

    1. Il n’est pas à nous d’exiger de (même pas de suggérer à) l’Ukraine qu’elle fasse ceci ou cela.
    (2. À qui d’ailleurs s’adressent-ils les manifestants et qu’est-ce que les adressés doivent-ils faire?)
    3. L’Ukraine est un pays qui se défend contre son ancien colonisateur (qui n’a pas tellement changé ses habitudes).
    4. En ce qui concerne l’Ukraine, elle mène une guerre juste.
    5. En ce qui concerne la Russie, elle mène une guerre parfaitement injuste.
    6. C’est belle et bien Poutine qui a commencé cette guerre et c’est Poutine qui doit y mettre fin.
    7. Toute inférence que l’OTAN y est pour quelque chose est fausse.
    8. Le fait-même que Poutine a voulu s’emparer de l’Ukraine en trois jours montre que dans sa cervelle l’OTAN n’était qu’un petit bonhomme impuissant, divisé. (Ce fait-là fut la grande erreur de Poutine: il n’a même pas perçu l’OTAN comme adversaire réel.)
    9. Cependant il est évident que Poutine, maître chanteur, manipulateur de grand talent, ne cherche en aucune manière de s’entendre ni avec l’Ouest ni avec l’Ukraine.
    10. Hélas, Poutine se réjouira de chaque manifestant qui prendra la rue le 26 février pour démoraliser l’Ukraine et ses partenaires.

  12. Il faut sauver Poutine pour sauver le gaz allemand. Habermas devrait retourner sous la cire, il va s’user si vous le sortez trop.
    Il y a tjs des absents dans vos grandes théories, à commencer par le mouvement social russe, et évidemment ukrainien.
    Poutine doit partir, parce que la Chine veut qu’il parte, parce que les russes veulent qu’il parte, Parcevque les ukrainiens veulent qu’il parte.
    Parce qu’il a commis une faute extrême qui aura provoqué, dans toutes ses extensions probables, près d’un million de morts. Pour rien.

    Défendre quoi que ce soit d’autres, eut égards aux crimes commis, s’il fallait établir un parallèle historique, reviendrait à exiger la loi du plus fort et l’impunité absolue.
    Si vous ne comprenez pas ça, qu’on ne vous voie jamais exiger une commission d’enquête quelconque, ou une action judiciaire internationale.
    On est quelques uns prêts à vous le rappeler.

    1. Hugues Le Paige dit :

      Diable ! Et quelles seront les « modalités » du rappel ?

  13. Marc Jacquemain dit :

    C’est dit très sobrement mais clairement. Je pense que la « superposition des deux guerres » est l’analyse la plus lucide que l’on puisse faire.

  14. Vladimir Caller dit :

    Approche effectivement équilibré mais avec quelques importantes omissions. Tout d’abord le rôle de l’Union européenne et son patron d’alors J. Barroso (et ce avant même les discussions à Vilnius en 2013). Rôle, toujours en vigueur, que j’estime même plus pernicieux (et contre nature) que celui de l’OTAN dans la tragédie en cours.
    L’agression russe, condamnable sans réserves, ne doit pas pour autant nous faire oublier ou préciser quelques faits. En commentant l’article d’Hugues Le Paige, « Maes » affirme « ils sont répartis de part et d’autre et si la Russie n’avait pas fomenté et armé la rébellion, il n’y aurait eu aucun mort ».

    Il fait allusion probablement aux morts du Donbass depuis le coup d’état/Maidan de 2014. Or, de ces, environ 14 000 mors, 81,4 % furent russophones contre 16,3 % ‘ukrainiens’. Et ce n’est pas ni la Pravda ni le Drapeau rouge qui l’affirme mais le rapport triennal des Nations Unies sur le bilan humain du conflit 2018-2020 (https://ukraine.un.org/sites/default/files/2022-02/Conflict-related%20civilian%20casualties%20EN_0.pdf )

    Enfin, si Poutine dans sa manière de manipuler les faits et le langage parle de « dénazifier » l’Ukraine, il est exact (corroboré par la BBC, le Wall Street Journal, etc. etc.) qu’une importante influence des forces nostalgiques du III Reich a existé -et existe toujours- au niveau notamment de l’appareil militaire et de sécurité.

  15. Jos Beni dit :

    Quelques points de réflexion quand même:

    il y a eu rarement un fait aussi clair (sauf en 1939) quant à l’agresseur, même le point 1 du manifeste de la manif du 26 le reconnaît;
    Poutine vient d’annoncer qu’il renie les accords existants sur la limitation et la destruction des armes nucléaires et seul lui utilise cette menace;
    Quasi quotidiennement, des citoyens russes sont condamnés à des amendes pour
    avoir parlé de « guerre », pour avoir liké un texte parlant d’« agression » ou d’« attaque » publié sur un réseau social, ou même simplement pour avoir osé écrire l’expression officiellement consacrée [« opération militaire spéciale »] en la plaçant entre des guillemets.[Cédric I STASSE, « “Opération militaire spéciale” : un exemple
    d’euphémisme en temps de guerre », Les @nalyses du CRISP];
    La guerre au Viet-Nam s’est clôturée grâce à l’offensive du Viet-Cong mais aussi grâce à toute la fronde anti-guerre des américain.e.s;
    Je sais ce que peut coûter le simple fait de rencontrer un dissident en URSS (en 1980), mais c’est bien cet empire-là que Poutine veut rétablir: 12 ans de Goulag (heureusement non exécutée !) … je te propose cyniquement, sans parler de manifestation, d’aller distribuer le manifeste de la manif du 26/2 à Moscou ;
    Amitiés,

    1. Hugues Le Paige dit :

      Rien dans mon texte ne contredit la description que tu fais du régime poutinien. Même s’il est vrai que je n’ai pas abordé la question de la nature de ce régime. Ce n’était pas le sujet qu’il faut bien entendu traiter et sur lequel je ne pense pas que nous ayons des désaccords. Mais tes remarques ne répondent en rien aux questions que je soulève. Ton aimable proposition de voyage à Moscou ne constitue pas une contre argumentation…. Amitiés réciproques.

  16. Jean-Pierre Michiels dit :

    Une possibilité de sortir de la logique guerrière ne serait-elle pas d’en revenir à une voie politique que représenterait un solution fédérale pour l’Ukraine qui lui garantiraitson intégrité. Cela impliquerait le retrait des troupes russes. Et une garantie pour les populations russophones de sécurité et d’une certaine autonomie économique, sociale et culturelle.

  17. Colette Sancy dit :

    Merci pour ce partage courageux qui éclaire la complexité à prendre en compte sans éluder les choix et priorités nécessaires à faire dans la réflexion et l’action ! Merci aussi pour les réponses aux commentaires … qui n’ont pas tous cette clarté dans la complexité! Cela prouve aussi qu’il est encore possible d’ argumenter sereinement malgré les désaccords…

  18. Daniel Tanuro dit :

    Il n’y a pas deux guerres mais il y a en effet deux niveaux de conflictualité:
    – d’une part, « une authentique résistance populaire défend légitimement sa souveraineté et sa liberté » face à une guerre d’agression brutale, et cela « a justifié un large soutien » (je reviendrai sur ce « a justifié »);
    – d’autre part l’impérialisme US tire parti de l’énorme erreur de Poutine et de la farouche résistance ukrainienne (à laquelle il ne s’attendait pas!) pour affaiblir la Russie et se renforcer « dans la perspective d’un conflit avec la Chine ».
    Il est exact que ces deux niveaux de conflictualité sont « superposés », « simultanés », et même imbriqués. Cette imbrication n’est pas sans précédent historique: la 2e guerre mondiale a combiné une guerre impérialiste pour le rétablissement du capitalisme en URSS, une guerre inter-impérialiste (Japon-Allemagne-Italie vs USA-GB) et des guerres de libération anti coloniales (résistance « authentique et légitime » du peuple chinois contre l’occupation japonaise, par ex).
    Une politique de gauche ne peut pas mettre toutes ces guerres « inextricablement » dans le même sac et en déduire un plaidoyer abstrait « pour la paix »: elle doit faire l’analyse concrète des situations concrètes et en tirer des lignes politiques concrètes, différenciées selon les situations.
    Le cas chinois est plein d’enseignements: après Pearl Harbour, les USA se sont mis à livrer des armes à la résistance chinoise. Leur but n’était évidemment pas « la liberté » du peuple chinois: il s’agissait d’affaiblir le Japon. Fallait-il pleurnicher sur une « situation inextricable », et s’opposer à ces livraisons d’armes au nom de « la paix »? Ou fallait-il approuver le principe de ces livraisons indispensables à la victoire du peuple chinois – tout en cultivant la méfiance face aux vrais buts de guerre de Washington?
    La gauche internationaliste étasunienne a choisi la deuxième réponse. Elle a bien fait. La victoire de la résistance « authentique et légitime » du peuple chinois était la condition nécessaire de son émancipation (condition non suffisante, mais c’est une autre histoire). La victoire du Japon lui aurait par contre porté un coup terrible, et pour longtemps. Il en est de même aujourd’hui, mutatis mutandis, dans le cas ukrainien.
    La lutte contre la guerre est en dernière instance une lutte anticapitaliste. Le grand principe de Marx s’applique donc aussi en temps de guerre: « l’émancipation des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes ». Dès lors qu’on identifie dans la guerre en Ukraine « une authentique résistance populaire (qui) défend légitimement sa souveraineté et sa liberté » face à l’agression brutale d’un régime despotique, il n’y a pas photo: il faut donner à cette résistance les moyens (armés ou non armés) de se défendre. C’est d’elle (et des anti guerre en Russie, dans une mesure moindre, hélas) que peut venir l’espoir, même s’il est ténu, d’une issue favorable aux luttes pour l’émancipation.
    Pour sortir de la « situation inextricable », la conclusion unanime de la gauche devrait donc être « le soutien le plus large possible et la solidarité la plus étendue avec le peuple ukrainien dans sa résistance justifiée à l’invasion russe ». C’est ce qui devrait découler de la prémisse « résistance populaire authentique et légitime ». Mais là, Hugues Lepaige fait une petite pirouette discrète en employant le passé composé: « la résistance populaire authentique A JUSTIFIE le soutien », y compris l’envoi d’armes. Cette résistance a-t-elle disparu? a-t-elle été vaincue? quand? par qui? a-t-elle changé de nature au point de ne plus mériter notre soutien? Mystère… En tout cas, le résultat de la pirouette est clair: face aux crimes de l’agresseur, Hugues Lepaige a appelé à une manifestation qui remplace le soutien à l’agressé par des discours abstraits pour des négociations hypothétiques en faveur d’une paix abstraite… tout en revendiquant très concrètement l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. Un enfant comprendrait que cela revient en pratique à renforcer Poutine et tous ceux qui (en Russie et ailleurs!), ne tolèrent pas que « une authentique résistance populaire défend(e) légitimement sa souveraineté et sa liberté ».

  19. Hugues Le Paige dit :

    Je reviendrai dès que possible sur l’argumentation de Daniel Tanuro qui mérite en effet réponse et plus largement débat. Dommage qu’il y soit introduit des éléments inutilement polémique ( comme « pirouette ») ou carrément paternaliste ( « Un enfant comprendrait… ») Mais je ne m’arrêterai pas sur ces scories.

  20. Neys Robert dit :

    Cher Hugues
    J’ai souvent été d’accord avec tes analyses, mais pas cette fois. Il n’y a pas deux guerres en Ukraine, mais une seule : une guerre d’agression déclenchée par la Russie, qui en porte seule la responsabilité. L’argument selon lequel Washington et l’OTAN feraient eux mêmes la guerre, par procuration, dans le but d’affaiblir la Russie, est fallacieux. Cela fait plus de trente ans que les Ukrainiens, à une majorité écrasante, ont proclamé leur indépendance, or, l’Ukraine ne fait toujours pas partie de l’OTAN, ni de l’Union européenne d’ailleurs. On ne peut donc pas prétendre que les Etats Unis et « l’Occident » -pour parler comme Poutine-, se soient empressés de les accueillir. Les choses sont certes en train de changer : c’est l’un des résultats auxquels Poutine sera parvenu. En fait, les dictateurs ont souvent tendance à se poser en victime pour justifier leurs agressions : Hitler avait fait la même chose avant d’envahir la Tchécoslovaquie, puis, conjointement avec Staline, la Pologne.
    Cette guerre d’agression, la Russie la mène d’une manière criminelle : crimes de guerre, crimes contre l’humanité. Les dirigeant russes cochent ainsi toutes les cases qui avaient valu aux plus hauts dirigeants nazis encore vivants d’être jugés à Nuremberg.
    Dans ces conditions, faut-il négocier avec Poutine ? Certainement pas dans le sens où l’entend Habermas qui, si je le suis bien, abandonnerait la Crimée avant même d’avoir commencé à négocier. Permettre à la partie russe de sauver la face ne devrait pas non plus, à ce stade, être notre premier souci. Pour sauver la face (devant son propre peuple, j’imagine) Poutine n’aura qu’à continuer à lui mentir : c’est une chose qu’il fait très bien.
    On ne pourra parler de négociations que dans un rapport de forces favorable, qui passe par un soutien sans faille à l’Ukraine, et d’abord sur le plan des livraisons d’armes.
    Quant à la manifestation du 26 février, je ne doute pas des intentions pacifistes de ses organisateurs, mais c’était, en l’occurrence, un pacifisme bien « munichois ». Appuyé, bien sûr, par ces grands pacifistes que sont les staliniens du Drapeau rouge, du PTB, ou d’ autres enseignes du même tonneau.
    En guise de petit dernier pour la route, je te propose de méditer ces quelques phrases, extraites d’une tribune signée par Timofeï Sergueïetsev, l’un des penseurs dont s’inspire Poutine :
    « Il faut procéder à un nettoyage total. La particularité de l’Ukraine nazie est sa nature amorphe et ambivalente qui permet de déguiser le nazisme en aspirations à « l’indépendance » et à une « voie européenne » de « développement ». L’Occident collectif est lui même le concepteur, la source et le sponsor du nazisme ukrainien. La dé-nazification sera inévitablement une dé-ukrainisation et une dé-européanisation ».
    Tout est dit. Bien à toi

  21. Tom Goldschmidt dit :

    Les mots « paix » et « négociation » me sont évidemment sympathiques, mais ils réveillent quelques mauvais souvenirs. Par exemple, celui des négociations et des accords de Minsk entre Ukraine et Russie, garantis par France et Allemagne, et qui vécurent ce que vivent les roses. Celui des négociations et des accords de Munich. Celui des négociations et de l’accord Molotov-Ribbentrop. Le « Peace for our time » de Chamberlain a endormi l’Europe, la poignée de mains Molotov-Ribbentrop a rasséréné Staline. Le prix de ces tranquillités d’esprit fut élevé. Et la neutralité de la Belgique, garantie par les grandes puissances, n’a pas empêché l’invasion de 1914. Conclusion : un accord vaut ce que vaut un rapport de forces. Un accord *dans le rapport de forces actuel* ne permettrait vraisemblablement que, à Poutine, de se refaire une santé avant de remettre le couvert et de relancer le massacre. Enfin, la tentative russe de constituer un bloc anti-occidental oblige à une constatation : quels que soient les crimes de pays occidentaux, ce sont des pays où la presse peut s’exprimer, où l’électeur peut voter, où un Trump risque la prison, ce qu’on imagine mal pour Poutine, Xi Jinping ou les théocrates iraniens, où manifester est possible, quels que soient les débordements actuels de la police française – que la presse peut y critiquer sans que les journalistes soient emprisonnés -… Dans les pays dont Poutine veut voir la Russie devenir le navire amiral, ce sont choses rares. Il y a peut-être là aussi un enjeu qui mérite réflexion.

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