Trois mois après avoir provoqué la crise des majorités en Wallonie et à Bruxelles, le président du CDH semble avoir disparu des écrans radars. Et ce n’est pas faute d’avoir continué pendant des semaines à courir en rond comme une poule sans tête, s’en allant répéter son rejet des socialistes et son amour de la bonne gouvernance (et du MR). Jamais sans doute, dans l’histoire politique belge, un président de parti n’aura posé un acte aussi irresponsable, sans aucune vision stratégique, et qui se soit autant retourné contre lui. Benoît Lutgen restera longtemps inégalé dans le genre terminator suicidaire. Mais le résultat est là : le MR au pouvoir en Wallonie grâce à ses supplétifs humanistes, le chaos à Bruxelles et en Communauté française. Tout a été dit sur cet épisode qui outre le cadeau inespéré aux Libéraux nourrira un peu plus, et à juste titre, le rejet de cette politique politicienne de bas étage.
Mais sur la scène de la désespérance politique, le CDH n’est pas seul à être atteint par la danse de Saint Guy. Ne sachant plus où donner de la tête, les socialistes, rongés par les affaires, semblent plus que jamais emportés dans leurs contradictions : discours de gauche (pour l’avenir) et pratiques sociales libérales (jamais remises en cause). Pour conjurer le sort, Elio Di Rupo s’écrie à répétition « le PS est vivant, le PS est debout… ». Il publie un catalogue de propositions à gauche toute, mais veut en même temps abandonner la Charte de Quaregnon. Un jour, il vitupère contre la gauche radicale, un autre il fait de Jeremy Corbyn son modèle. S’y retrouve qui peut. Paul Magnette affirme qu’il y a continuité entre son gouvernement wallon et celui de Willy Borsus pour vanter ensuite le « modèle portugais » (un gouvernement socialiste soutenu de l’extérieur par la gauche radicale). Quant à Laurette Onkelinx, elle pratique l’autodégagisme mou en annonçant son retrait… pour 2019. Et pendant ce temps, la droite libérale justifie la politique migratoire de la NVA, s’attaque frontalement aux pensions et coupe dans les budgets publics.
« Mêlée sauvage avec cavaliers et fantassins », gravure de Matthieu Mérian d’après Antonio Tempesta (1555)
Le paysage est sombre, le système démocratique en crise profonde, le libéralisme radical à l’offensive et les perspectives ne sont pas réjouissantes. Pour la FGTB Wallonne, Thierry Bodson plaide en faveur de coalitions PS-Ecolo-PTB en 2019. Bonnes intentions, mais vœu pieu (en admettant que ce soit arithmétiquement possible). Le PS ne répond pas. Ecolo a tout de suite indiqué qu’il « n’entre pas dans ce jeu-là »[1]. Quant au PTB, il a précisé sa position sur la participation au pouvoir. Samedi dernier, le président du PTB-PVDA n’a jamais été aussi clair : « Nous ne participerons pas au pouvoir régional et fédéral en 2019 », a déclaré Peter Mertens[2] qui évoque deux raisons pour justifier ce refus. Il y a d’abord l’absence de «volonté de mettre en place un gouvernement qui voudrait la confrontation totale avec les institutions européennes », mais aussi – et ce n’est pas moins important – le refus « de casser notre parti en plaçant tous les cadres dans des cabinets ministériels. Si nous faisons, cela, ajoute Peter Mertens, nous serons morts, car nous perdrions notre capacité de mobiliser les gens ». Ajoutons que là réside aussi le calcul des éventuels partenaires potentiels du PTB. Le parti de la gauche radicale a sans doute raison sur le fond comme sur la nécessité d’annoncer la couleur sans détour, mais il devra faire preuve d’une grande capacité pédagogique auprès de ses électeurs potentiels. En admettant même que les urnes confirment tout ou partie (le plus vraisemblable) des intentions de vote, le rapport de force ne permettra pas au PTB d’imposer ses conditions politiques minimales (le refus des politiques européennes) et une participation dans l’état actuel de son développement aurait pour effet de l’asphyxier. La question de la participation à des majorités communales en 2018 sera naturellement d’un autre ordre. Si les résultats le permettent, elle sera même une expérience indispensable, notamment en matière de capacité de gestion mais aussi de formation de cadres. Bien entendu, les adversaires du PTB martèleront à n’en plus finir qu’il ne veut pas prendre ses responsabilités et appelleront au vote « utile ». Mais dans le paysage délabré de la scène politique, la clarté est d’abord une nécessité vitale pour les électeurs et les citoyens.
[1] Le Soir, 20 septembre 2017.
[2] La Libre Belgique, 23 et 24 septembre 2017.