Mitterrand, Hollande et Le Figaro

Il y a quelques mois à peine, le titre du Figaro de ce 8 janvier 2016 aurait été catalogué dans le registre d’une politique-fiction mal dégrossie : « Hollande tient bon, la gauche renâcle ». Ce constat en forme de satisfecit du quotidien de la droite à l’égard du chef de l’Etat concerne naturellement ce qu’il appelle « l’antiterrorisme ». Autrement dit la déchéance de nationalité appliquée aux binationaux nés en France qui doit être inscrite dans la Constitution et la réforme du code pénal qui renforce considérablement les pouvoirs et les prérogatives des forces de l’ordre et des procureurs.

Vingt ans, jour pour jour, après la mort de François Mitterrand, l’homme qui, à travers toutes ses ambiguïtés et ses paradoxes, avait ramené la gauche au pouvoir, un président issu du parti socialiste, élu en 2012 par l’ensemble de cette gauche est devenu le héraut du Figaro. Le journal de Dassault insiste en pleine page « Hollande maintient le cap de la fermeté » et l’éditorialiste Yves Thréard de conclure : « Contre les révoltés de la gauche, François Hollande doit tenir bon, quoi qu’il lui en coûte ». Injonction désormais inutile tant le président a fait siennes les revendications de la droite (et de l‘extrême droite) la plus sécuritaire. Mais l’éditorial du Figaro insiste justement sur le prix de ce ralliement. Si François Hollande, nouveau Père de la Nation, pense ainsi construire une majorité de rechange en vue de la présidentielle de 2017, il menace l’existence même d’une gauche politique organisée et le fondement même de sa base électorale.

Tel un fétu de paille balloté sur une mer déchainée, le PS déboussolé est incapable de se donner une direction. Il flotte, désorienté, au gré des ordres parfois contradictoires de l’exécutif. Le rafiot socialiste fait eau de toutes parts, ses marins paralysés ne peuvent plus que constater les dégâts. Au PS, désormais en désordre de bataille, certains se résignent, au mieux, à livrer un dernier combat pour l’honneur en refusant une mesure discriminatoire qui met en cause un des fondements de la République, le droit du sol. Mais les conséquences de ce tournant historique sont incalculables. Le trio Hollande-Valls-Macron s’est fondu depuis belle lurette dans le (social)libéralisme. Restaient « les valeurs de la République » et les combats sociétaux pour se distinguer de la droite : les unes enterrées et les autres évanouis, la gauche socialiste est désormais privée d’identité. Christiane Taubira doit décidément beaucoup aimer les apparences du pouvoir.

Quelles que soient ses propres responsabilités sur l’évolution à longs termes de la gauche, François Mitterrand savait jouer sur ces différents registres et –jusqu’au cynisme- ne se trompait jamais de stratégie électorale. De tous temps (de sa première candidature présidentielle en 1965 à la fin de son deuxième mandat en 1995) [[Voir Hugues Le Paige, « La continuité paradoxale -Mitterrand 1965-1995 », Couleurs Livres, 2011]]Mitterrand a toujours associé la défense de l’union nationale à un discours de gauche. C’était, en quelque sorte, ce qu’il appelait son « point fixe ». Mais y compris dans cette ambiguïté fondamentale, il restait l’adversaire détesté de la droite. A la fin, cet antagonisme fort et partagé tenait lieu de programme, un peu court certes mais mobilisateur. Alors, le Figaro ne s’y trompait pas dans la virulence de ses critiques à l’égard de l’homme de Jarnac. Comme il sait aujourd’hui rendre hommage à celui qui s’est rallié…

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