La démocratie « adaptée »

Très logiquement, à l’étranger, aussi, on ironise à propos de notre situation politique. Et comme dans nos discussions de café du commerce, on conclut généralement que, tout compte fait, la Belgique s’en tire bien sans gouvernement dont l’utilité intrinsèque est invariablement mise en cause. Mais ici ou là, loin des plaisanteries, les esprits libertariens n’hésitent pas à théoriser le bien fondé du non-gouvernement. D’autres ont noté que non seulement des décisions fondamentales, comme l’entrée en guerre, ont pu être prises par une équipe en affaires courantes, avec, il est vrai, l’assentiment étonnamment unanime du parlement. Ou encore que l’absence d’une coalition issue des élections avait empêché l’instauration d’une politique d’austérité. Et que finalement nous avions échappé à ces mesures qui ont fait ailleurs la preuve de leur impuissance et pire même de leur nocivité.


Des majorités transversales

Tout cela n’était pas faux jusqu’il y a peu. Mais voilà que le décor – et la pièce – changent. Les forces conservatrices de ce pays ont compris, bien au-delà des clivages communautaires, que des majorités transversales et de circonstances pouvaient faire passer au parlement des lois qu’aucune coalition, fruit de compromis obligés, n’aurait pu ou voulu imposer. On l’a vu avec la loi sur le regroupement familial qui a rassemblé un axe conservateur allant de la NVA au MR. La surenchère sécuritaire et répressive se déchaîne. Pour la droite flamande comme francophone, c’est un coup double : on déplace l’axe politique et on se positionne dans la perspective d’un nouveau recours aux urnes, le tout sans responsabilité gouvernementale. Ce qui indique, soit en dit en passant, que les oppositions communautaires ne résistent pas vraiment aux clivages socio-économiques. Cela risque encore de se confirmer très rapidement.

Prenant prétexte des admonestations libérales de la Commission européenne, notamment à propos de l’indexation des salaires, les droites vont sans aucun doute reprendre l’offensive et tenter d’imposer une politique d’austérité. Dans notre pays, sauf exception, les gouvernements de coalition, tenant compte des différentes majorités communautaires, sont un frein à la radicalisation politique et surtout, ils ont à rendre compte de l’ensemble de leur action aux électeurs. Les majorités provisoires que l’on voit se former aujourd’hui n’exercent pas la même responsabilité. Et de ce point de vue, nous risquons désormais de vivre sous le régime de la démocratie, disons, « adaptée ».

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