« Certains s’offusquent quand je dis que jadis un ouvrier agricole d’Émilie ou un paysan des Madonie (montagnes siciliennes) avaient une culture politique, des centres d’intérêt et une vision du monde supérieurs à celles de l’actuelle classe dirigeante »[1] : il y a certes de la nostalgie quand Emanuele Macaluso, 93 ans, commente en ces termes la sévère défaite du Parti Démocrate de Matteo Renzi aux élections régionales en Sicile de ce dimanche 5 novembre. De la nostalgie, certes, mais les propos du vieux dirigeant historique du PCI décrivent aussi une réalité incontestable, celle de la déliquescence absolue du centre gauche italien. À vrai dire, le qualificatif de « gauche » ne correspond plus à ce néocentrisme social-libéral que Renzi a imposé à marche forcée au PD. « Ce n’est plus un parti, ajoutait Macaluso, mais un rassemblement électoral au service d’un leader ».
Ce scrutin régional a confirmé la nouvelle dynamique d’une droite rassemblée et regroupant Forza Italia de Berlusoni, le centre droit de l’UDC, les post fascistes de Fratelli d’Italia et Noi con Salvini (la déclinaison sicilienne de La Lega Nord, un paradoxe de plus : des représentants de la Lega au parlement régional de la Sicile…). Cette droite conduite par Nello Musumeci, un « fascista per bene » (« un fasciste bien mis »), issu du MSI a largement dominé le scrutin (près de 40 % des voix) en contenant le candidat des 5 Stelle (35 %) qui reste cependant le premier parti d’Italie et en reléguant le candidat démocrate à la troisième place (18 %) tandis que la gauche (6 % — MDP — scission du PD et Sinistra Italiana) dépasse à peine le seuil de représentation à l’assemblée régionale. Et cela, alors que le taux d’abstention dépasse les 53 % !
Berlusconi, une nouvelle fois « relifté » pour l’occasion, se présente en vainqueur même si son parti réalise un score modeste. Alors que les législatives sont programmées pour mars 2018, la droite a, en tous cas, montré sa capacité à constituer une coalition, condition indispensable pour remporter la victoire l’an prochain en vertu de la nouvelle loi électorale récemment adoptée. Le parti de Beppe Grillo demeure intrinsèquement le plus fort, mais il est sans allié. Quant à la gauche, elle est aujourd’hui désemparée, sans repère et sans alternative.
Renzi a été le vrai précurseur de Macron. Il a effacé les frontières idéologiques et a inauguré ce que l’on pourrait appeler un populisme d’état. Tout comme il a été le premier à « envoyer à la casse » (la « rottomazione »), comme il disait, les anciens leaders ( surtout ceux issus du PCI) de sa propre famille politique. En ce sens, l’Italie a été, encore une fois, le laboratoire politique de l’Europe. Cela dit, s’il a gagné cette bataille idéologique, Renzi est dans une mauvaise passe politique. Fin 2016, il a perdu le referendum constitutionnel qu’il avait imprudemment transformé en plébiscite. Il a dû passer la main à Gentiloni comme chef de gouvernement. Et s’il a repris le pouvoir au PD, la défaite sicilienne est la sienne et aujourd’hui son leadership est contesté au sein même de sa formation. L’heure est au règlement de comptes et la bataille reste ouverte. En attendant, les anciens communistes réformistes du PCI ont finalement quitté le PD et différentes forces minoritaires de gauche, dont Sinistra Italiana tentent sans grand succès de trouver une alliance qui ressemble surtout à un bricolage d’appareils. La gauche italienne vit une année zéro. Tout est à refaire. « Da Capo », comme on dit là-bas…
[1] Il Corriere della Sera 06/11/17