« Le silence de Lorna » : le mouvement des Dardenne

Un film des Dardenne se reconnaît au premier plan. « Le silence de Lorna » n’échappe pas à la règle et pourtant le cinéma des frères est en évolution permanente. C’est un cinéma en mouvement, qui se constitue en époques. Après l’époque documentaire et une première fiction « Falsch » (1978-1992), « La Promesse » (1996) avait ouvert un nouveau cycle englobant « Rosetta » et « Le fils » et qui s’était achevé avec « L’enfant » (2005), chaque film se nourrissant du précédent pour creuser un style en constante épuration. « Le silence de Lorna » ouvre une autre époque qui inventera sa propre forme au départ d’une nouvelle écriture de l’image.

Bien entendu, les constantes demeurent. Sur le fond, les Dardenne poursuivent leur approche très physique d’une société de déchirures et de séparations, d’injustices et d’exploitations. Les personnages toujours sublimement incarnés par les nouveaux et les anciens comédiens nés de et dans leur cinéma, ne se résignent jamais et se mettent toujours en danger (comme les acteurs eux-mêmes). Films de vie et de mort, jusqu’au bout. Vie, survie, résistance, révolte, refus, le bien et le mal qui s’affrontent ou s’entremêlent, la rédemption jamais inaccessible : Lorna, la jeune kosovare devenue belge et ses histoires de mariage blanc appartient naturellement à cette famille. Des œuvres en quelque sorte meta-politiques – les Dardenne ont toujours justement refusé l’étiquette de cinéma politique – qui en disent plus long sur une époque que tout film militant.

Rien a changé, donc, dans ce cinéma ? Peut-être, mais en même temps tout a changé, a-t-on envie de dire. Un autre cinéma des frères est en train de naitre qui nous conduira sans doute vers des créations insoupçonnées.
La caméra 16 mm à l’épaule qui collait aux personnages jusqu’à épouser leur souffle a cédé la place à une 35mm naturellement plus lente, plus fixe, parfois plus lointaine mais sans jamais lâcher ses personnages. Les plans souvent sont courts même si le cadre compose aujourd’hui des tableaux plus que des esquisses. Le pari était risqué, jusqu’à la dénaturation possible d’un style. Il est totalement réussi. Le 16 mm a servi naturellement de « passeur » au 35mm. Le scénario plus complexe, plus diversifié (avec plus de personnages et d’intrigues successives) nécessitait non pas la distance mais des moments de recul qu’offre cette nouvelle écriture. La construction elliptique – qui fait partie depuis toujours du cinéma des Dardenne- s’est encore accentuée dans la subtilité. Non seulement il n’y a jamais un plan de trop, mais souvent un plan de moins accroît encore la force de la séquence. Ce cinéma totalement maitrisé dans sa forme renouvelée nous entraîne dans un moment rare où l’émotion est inséparable de la réflexion.

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