Sarkozy, président roumain

Trois boutons sur le bureau ministériel, en fait un bouton pour appeler l’huissier de service et deux lignes directes avec les rédactions du Journal Parlé et du Journal télévisé de l’ORTF: ces trois boutons constituaient l’ornement — et le signe du pouvoir — principal d’un ministre de l’information sous la Ve République. Un ministre de l’information qui confisquait — et exerçait de fait — les fonctions de rédacteur en chef d’une information qui s’assumait pleinement «gouvernementale». De Gaulle considérait que la presse écrite était totalement favorable à l’opposition et qu’il était dès lors naturel que la radio-télévision d’état soit aux ordres du pouvoir. Plus tard, Georges Pompidou ajoutera que les journalistes de l’ORTF n’étaient pas des journalistes comme les autres puisqu’ils étaient «la voix de la France»[[Lire à ce sujet l’ouvrage de référence: «Haute Fidélité, Pouvoir et Télévision 1935-1994», Jérôme Bourdon, Le Seuil, 1994]].

En décidant que désormais, comme au bon vieux temps, il reviendrait au Président, de nommer directement les PDG des chaînes publiques, Nicolas Sarkozy rejoue un vieux film en noir et blanc. Sans fioriture et en assumant une fois encore la brutalité de ses propos, le président français surprend et lâche du même coup un nuage de fumée sur le sous financement décrété du service public. S’il est vrai que le CSA fonctionnait d’une manière relativement hypocrite en matière de nominations, rejoignant le plus souvent les souhaits de la majorité en place, il n’en constituait pas moins un filtre qui autorisait parfois quelques velléités d’indépendance et constituait une certaine protection vis-à-vis ders interventions les plus brutales du pouvoir exécutif. «Je — l’état — paie, je décide!» proclame le président qui aime gérer le pays comme une entreprise. Le candidat qui avait déjà menacé quelques journalistes insuffisamment dociles durant la campagne de 2007, va pouvoir régler ses comptes en toute tranquillité et sera même conforté par la législation qu’il veillera à mettre en place. Ne pouvant, comme Berlusconi, tout acheter, Sarkozy réglera la question par une loi sur mesure, autre pratique courante de son cousin transalpin, faut-il rappeler[[À lire: «Le SarkoBerlusconime», Pierre Musso, L’aube, 2008. Je reviendrai sur cet ouvrage durant l’été.]].

Un double étranglement

Mais ce qui gêne, y compris certains de ses collaborateurs et provoque l’embarras jusque dans les rangs de sa propre majorité, n’est jamais que la face la plus spectaculaire de la manœuvre d’étranglement lancée à la hussarde contre l’audiovisuel public. Le 8 janvier dernier Nicolas Sarkozy annonçait la suppression de la publicité sur les chaînes publiques sous les applaudissements des chaînes privées (véritables commanditaires de l’offensive) et des antipub qui saluaient là une audace que n’aurait jamais osée une gauche empêtrée dans sa frilosité. Six mois et une commission Coppé plus tard: les résultats sont là, clairs, nets et sans bavure. Le service public ne sera pas refinancé à hauteur des pertes subies par la suppression de la publicité. Les timides mesures de la Commission Coppé sont jetées aux oubliettes et celles annoncées par le Président (taxation des opérateurs de nouvelles technologies et des recettes publicitaires privées) se heurteront au veto européen (ce qui permettra d’affirmer, une fois encore, que «c’est la faute à l’Europe»!). Et de toute manière, le financement du service public sera insuffisant. Etouffé financièrement, le voici aussi étranglé politiquement. Prochaine étape: la privatisation d’une ou plusieurs chaînes publiques. La guerre a été menée tambour battant avec maestria et efficacité.

Les bonnes nouvelles

Pour parfaire son triomphe le président européen en exercice ferait bien de tourner son regard vers la Roumanie. Le Sénat vient d’y voter une loi qui impose aux médias audiovisuels de donner 50 % d’informations positives. Un grand nombre de dirigeants roumains estimant que l’on parle « trop de choses qui ne vont pas …».Vingt ans après la chute de Ceausescu il a fallu cinq minutes au sénat roumain pour voter ce texte à l’unanimité. Et c’est la Conseil national de l’audiovisuel roumain qui est chargé d’élaborer les critères afin de distinguer les informations « positives » des «négatives». Ce n’est pas en France que l’on s’encombrerait d’une telle hypocrisie: c’est au Président, principal actionnaire du service public, qu’il reviendrait de trancher. On peut aussi rappeler aux amateurs de bonnes nouvelles que déjà Mussolini estimait que l’on ne parlait pas assez des trains qui arrivaient à l’heure…

Ce contenu a été publié dans Blog, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.