La dynamique de la campagne et tous les sondages concordent : le 25 septembre, lors des législatives anticipées[1], la victoire semble promise à l’extrême droite des Fratelli d’Italia et à ses alliés de la Lega souverainiste et raciste flanqués du berlusconisme vieillissant. Cent ans après la marche sur Rome et l’avènement de Mussolini (avec la complicité de la droite libérale et de la monarchie), Giorgia Meloni, héritière du néofascisme[2], pourrait occuper le poste de Première ministre. Son parti est crédité de 24 à 25 % des suffrages et a pris nettement le dessus sur la Lega de Salvini en perte de vitesse (12 %) et sur Forza Italia à la traine (7 à 8 %). Grâce à une loi électorale particulièrement inique (mais voulue en son temps par le Premier ministre PD Renzi) avec 44 % des voix, la coalition de la droite et de l’extrême droite pourrait rafler 70 % des sièges et serait même en mesure de modifier la constitution avec une véritable menace sur les institutions démocratiques traditionnelles. Son programme se décline sur le triptyque « Dieu, Famille, Patrie » avec toutes les atteintes possibles et imaginables sur les principes d’égalité et de solidarité. Et pourtant d’une manière contradictoire, un sondage récent[3] indique que dans l’ordre de priorité des préoccupations des Italiens figure d’abord le « renforcement du soutien économique pour les familles en difficultés » (87 %) et « l’introduction d’un salaire minimum » (78 %) alors qu’à titre de comparaison « l’augmentation des dépenses militaires » est reléguée en dernière position ( 33 %). Sans doute le succès et la crédibilité de Meloni s’expliquent-ils par le fait qu’elle ait été seule[4] dans l’opposition face au gouvernement Draghi.
On ne voit pas, à dix jours du scrutin, ce qui pourrait renverser la tendance même si on compte encore plus de 30 % d’indécis. Et ce n’est pas le fort taux d’abstention prévisible (jusqu’à 40 % ?) qui défavorisera la coalition de droite. Bien au contraire, c’est le centre gauche qui en souffrira d’abord. Le PD d’Enrico Letta (21 à 22 % selon les sondages) a pâti d’une campagne pas toujours lisible. L’accord avorté avec le libéral Calenda (Azione) qui choisit ensuite de s’allier avec son meilleur ennemi, Matteo Renzi (Italia Viva), pour former un « troisième pôle » dit « centriste » (7 %) a brouillé les pistes. Letta a axé toute sa campagne sur le vote utile (« Ce sera nous ou Meloni ») et en gauchissant — très — légèrement son programme pour se démarquer du pôle centriste, il a finalement favorisé les Cinque Stelle qui ont choisi, eux, un axe nettement plus social, notamment sur le revenu de citoyenneté très populaire dans le Sud et la lutte contre la précarité de l’emploi. Le mouvement de Giuseppe Conte qui, par ailleurs, s’est démarqué de l’atlantisme à outrance de la quasi-totalité de la classe politique italienne et de ses médias est désormais crédité d’un score inespéré de 12 à 13 % des suffrages. Soit dit en passant, alors que l’Italie a toujours compté un puissant mouvement pacifiste alimenté par les traditions communistes et chrétiennes, il lui est devenu quasi impossible aujourd’hui de s’affirmer sans être taxé de suppôt de Poutine. Même le Pape François en fait les frais. Le débat sur la recherche de la paix est désormais banni dans un contexte politico-médiatique écrasé par un atlantisme qui est sans doute l’un des plus agressifs en Europe.
Pour en revenir au scrutin, plus que jamais, il apparait que seule une grande coalition de centre gauche associant notamment le PD et les Cinque Stelle était en mesure de faire barrage à l’extrême droite. En se voulant le premier défenseur de Mario Draghi, Enrico Letta a exclu cette alliance avec les Cinque Stelle coupables d’avoir contribué à la chute du gouvernement en juillet dernier. Le prix à payer sera lourd. À gauche rien n’a vraiment évolué : Sinistra Italia et les Verdi Europei qui ont conclu une alliance technique avec le PD ne sont pas certains d’atteindre le seuil électoral de 3 % qui leur garantit des élus. Et la gauche radicale de l’Unione Popolare (qui rassemble de petits groupes comme Rifondazione Communista et Potere al Popolo et qui a obtenu le soutien de Jean-Luc Mélenchon…) demeure une candidature de témoignage (1 % selon les prévisions).
La droite et l’extrême droite ont donc toutes les raisons d’être confiantes, mais même une large victoire ne leur assurera pas des lendemains qui chantent. Les divergences sont nombreuses entre les alliés notamment en politique étrangère et en particulier en ce qui concerne l’Ukraine. Giorgia Meloni a choisi de s’aligner sur l’atlantisme le plus radical alors que l’on connait les sympathies et les complaisances de Salvini vis-à-vis de la Russie de Poutine que Berlusconi considérait, lui, comme un ami personnel. Sur l’Europe la connivence de Meloni avec les régimes illibéraux de l’Est ne sera pas sans poser problème. La gauche et le centre gauche feront bien de ne pas compter seulement sur les erreurs et les déchirements potentiels de leurs adversaires. L’Italie risque d’être plongée dans une longue période noire. Si c’est le cas, il sera vital pour la démocratie qu’une opposition de gauche soit capable de se reconstruire. Les augures ne sont guère favorables.
[1] Voir les Blog Notes des 14 et 17 août 2022 : https://leblognotesdehugueslepaige.be/italie-le-desastre-annonce/ et https://leblognotesdehugueslepaige.be/italie-le-desastre-des-organise/
[2] Au cours de la campagne, Meloni a revendiqué pour son parti le symbole de la flamme tricolore, héritage direct du MSI ( Mouvement Social Italien crée en 1946 par d’anciens dignitaires fascistes). Meloni s’est déclarée « fière de ce symbole » qui, précisons-le, représente la flamme qui éclaire le tombeau de Mussolini.
[3] La Repubblica 09/09/22
[4] A l’exception de Sinistra Italiana
Bonjour,
Bonjour,
Je découvre depuis peu votre blog, et je sais à quel point vous connaissez bien l’Italie. Mais ces considérations sur les aspects strictement électoraux me laissent sur ma faim.
Qu’en est-il des soubassements économiques et sociaux, l’emploi, la sécurité de vie (la vision de l’avenir par exemple)? Je pense aussi à la jeunesse et à cette énorme abstention attendue, où j’imagine qu’elle est bien représentée.
Je lis » le revenu de citoyenneté très populaire dans le Sud et la lutte contre la précarité de l’emploi », apparemment une quasi exclusivité, du moins dans ce billet, de Cinque Stelle. Ce mouvement tellement décrié serait-il en cette période le seul un peu social et « matérialiste » ?
Je ne livre ici que des réflexions très provisoires sur ce pays que je connais mal et où j’ai des amis. Je suis ici pour apprendre, et je continuerai donc à vous lire, et si j’ai le temps j’irai voir vos anciens billets.
En vous remerciant!
G. L.
Bien entendu, le contexte économique et social a fait et fera l’objet d’autres publications. Le sujet est aujourd’hui l’enjeu électoral et les questions institutionnelles qui sont aussi révélatrices de l’état de la société italienne. Mais je reviendrai sur le fond, bien sûr.
Merci. Pas jojo. Ce grand pays croit-il démontrer qu on peut vivre « à côté » du politique?
(Peut être un jour un tableau simple des partis et de leurs orientations… ou bien as tu une idée de l endroit où trouver cela?).
Je cherche un ouvrage de référence et te fais savoir.