L’expression n’appartient qu’aux lois de la politique italienne, les seules, sans doute, à pouvoir défier celles de la géométrie. On la doit à Aldo Moro qui dans les années 70 qualifiait ainsi la progression du dialogue entre communistes et démocrate-chrétiens. Une progression qui restait cependant suspendue devant l’impossibilité physique de faire se rejoindre les convergences et les parallèles. Moro devait d’ailleurs payer de sa vie sa tentative presque aboutie de donner la primauté aux convergences avec les communistes et de les concrétiser dans le « compromis historique » proposé par Enrico Berlinguer. Le 16 mars 1978 il est enlevé à Rome par les Brigades Rouges qui l’assassinent le 9 mai.
On a évoqué de nouvelles « convergences parallèles » à propos de l’accord gouvernemental entre les Cinque Stelle et le PD. Certes, il s’agit aussi d’un accord entre forces antagonistes. Mais la comparaison s’arrête là. Il n’y a pas eu entre elles, comme dans les années 70, un long dialogue politique et idéologique pour préparer une volonté de gouverner ensemble. Le gouvernement Conte 2 est le pur fruit des circonstances et d’une réponse tactique de deux forces politiques opposées qui voulaient à tout prix éviter des élections anticipées. Une coalition impensable il y a un mois encore succède donc à une coalition improbable qui a cohabité dans l’affrontement durant 14 mois. L’anti-salvinisme étant le seul point commun, et encore pour des raisons différentes, des partenaires du nouvel équipage « giallo-rosso » (jaune et rouge). On ne peut pas parler de véritable programme politique et encore moins de vision ou de projet partagé. Il ne sera pas facile de le construire chemin faisant si du moins les divergences profondes qui opposent les deux partenaires ne viennent rapidement fracasser la fragile construction dont Giuseppe Conte se veut le nouvel homme fort.
Pour l’instant la seule marque forte qui distingue le nouveau gouvernement de son prédécesseur est son orientation résolument européiste qui succède au souverainisme radical de la Lega (largement partagé jusqu’il y a peu par les Cinque Stelle). Certes, le ministère des Affaires étrangères a été confié à Luigi Di Maio (qui atteint là son seuil d’incompétence), mais qui sera encadré par une série de ministres du PD. Par ailleurs, le PD obtient aussi le poste de Commissaire européen confié à l’ancien Premier ministre Paolo Gentiloni, un social libéral qui ne peut que plaire à Bruxelles. Reste à voir si l’Europe aura l’intelligence minimum de ne pas étrangler une nouvelle fois l’Italie en imposant d’emblée ses règles d’austérité dont le pays a déjà été une des principales victimes. Mais de ce point de vue, rien n’est moins sûr.
Les points de programme connus demeurent d’abord un catalogue de vœux pieux sur l’emploi ou la transition écologique même si on note qu’au moins la flat tax à 15 % voulue par la Lega et défendue en son temps par les 5S a disparu des objectifs gouvernementaux. Un premier test important sur la volonté de rupture manifestée par le PD sera la politique migratoire. Pour l’instant le changement se limite aux restrictions que le Président de la République avait apporté aux projets de loi concoctés par Salvini. C’est évidemment insuffisant et cela ne fait pas une politique. Il y a urgence. On verra donc très vite quel est le réel rapport de force au sein du gouvernement et si une vraie rupture est envisageable. C’est presque anecdotique mais on s’étonne de trouver un strapontin ministériel octroyé à Liberi e Uguali, la scission de gauche du PD qui a accumulé les déboires électoraux mais qui, il est vrai, dispose de 4 sénateurs dont les voix pourraient être utiles lors d’un vote serré. On s’étonne encore plus que les représentants de la gauche « radicale » aient jugé bon de monter dans cette galère.
La maîtrise politique de la coalition demeure aussi un point d’interrogation. Conte a changé de peau et de personnalité. Il entend exercer son autorité de Président du conseil. Mais les véritables maîtres d’œuvre de la coalition – et qui entendent bien ne pas abandonner leurs prérogatives – restent en réserve. Matteo Renzi qui a imposé l’alliance avec les Cinque Stelle au PD de Nicola Zingaretti et Beppe Grillo qui a repris les rênes de son mouvement et muselé les prétentions de Di Maio pour forcer l’accord. Le nouveau couple antagoniste de ces fausses « convergences parallèles », ce sont bien eux, Renzi et Grillo. Un duo imprévisible et inquiétant dont les ambitions personnelles respectives constituent le moteur de leur action.
Comment se fait-il qu’un peuple aussi cultivé et politisé se laisse tenter, de nouveau, par l’extrême droite brutale et déshumanisée?
Alessandro Giacone, historien italien spécialisé dans l’histoire de la construction européenne et dans l’histoire de l’Italie contemporaine me fait remarquer que l’expression « convergences parallèles » attribuée à Aldo Moro ne concerne pas les relations entre le PCi et la DC mais une période bien antérieure. En 1960 Moro obtient l’abstention des socialistes pour la formation d’un gouvernement DC appuyé par le PRI, le PSDI et le PLI ( Républicains, libéraux et sociaux démocrates) pour succéder au gouvernement autoritaire de Tramboni ( allié au aux néo fascistes du MSI). C’est le début de l’ouverture à gauche ( avec le PSI) de la DC. Dont acte. Mais il est vrai aussi que plus tard, dans les années 70, les commentateurs reviennent sur le concept à propos du rapprochement PCI/DC.On voit bien ce que cette comparaison anachronqiue avait de séduisante. Mais rendons à Moro sa chronologie politique… En remerciant Alessandro Giacone de sa vigilance.