Les sondages – qui cette fois ne se sont pas trompés – font que les commentaires de ce premier tour avaient déjà largement été anticipés : la victoire des deux candidats adversaires d’un « système » dont ils se sont pourtant nourris depuis leur berceau, avec une ascension fulgurante d’un côté et l’inquiétante montée de l’extrême-droite de l’autre, l’exclusion des partis de gouvernement, gauche et droite confondues (de ce point de vue, c’est un double 21 avril à l’envers) [[Voir le Blog Notes : 1965-2017 Histoires de Présidentielles (7. 2002 Le fracas et la sidération)]] et dans la foulée leur implosion annoncée (les règlements de compte ont commencé dès hier soir sur les plateaux télé), des ralliements et des réticences prévisibles pour le second tour, une France littéralement coupée en deux , y compris sur le plan géographique.
La carte électorale n’a jamais été aussi clairement délimitée par une ligne Est-Le Pen/Ouest-Macron qui démarre en dessous de la Loire.
Un risque : l’impasse sur le second tour
Tout cela, on le savait déjà pris que nous sommes dans cette obsession de l’anticipation, cet autre versant du règne de l’immédiateté. Et on y reviendra. Mais être confronté au réel des urnes donne une autre dimension à ces bouleversements. Hier soir, l’ensemble des interventions soulignaient avec encore plus de force l’importance capitale des législatives. Sous la Ve République, la règle veut que les électeurs confirment leur vote présidentiel et accordent une majorité au camp du président élu. Avec une France divisée en quatre blocs pratiquement égaux, la donne change. D’autant qu’Emmanuel Macron, en vrai caméléon politique, aura besoin, s’il gagne, du concours d’élus provenant des partis « du système ». De ce côté-là, depuis plusieurs semaines déjà, les appétits sont bien aiguisés. Les législatives prenaient tant de place que l’on semblait presque faire l’impasse sur le second tour.
La caravane de Macron, escortée comme il se doit par une foule de journalistes à moto (C’est un must du non-sens télévisé depuis 2002), qui s’en allait fêter la victoire à La Rotonde confortait un peu plus ce sentiment. Ce n’était pas le Fouquet’s de Sarkozy – et la brasserie de Montparnasse n’est pas « bling-bling » – mais cela provoquait un étrange sentiment. Certes, dans les sondages, Macron est donné vainqueur du 2eme tour par 62 % contre 38 à Le Pen. (Pour rappel, en 2002, Chirac avait fait, lui, 82,21 contre 17,79 au candidat du FN.) Mais la campagne est encore toute à faire. Et Macron, outre qu’il inspire de forts sentiments de rejet dans l’électorat de gauche, présente des fragilités qu’il ne faut pas négliger.
Rejeter dos à dos le chantre du social-libéralisme et l’égérie de l’extrême-droite, c’est prendre un risque incompréhensible. Benoit Hamon a eu les mots justes quand, hier soir, il a déclaré qu’il ne fallait pas « confondre un adversaire politique et un ennemi de la République ». Le vote Macron au second tour est un exercice difficile et douloureux mais il est une obligation politique face à l’extrême-droite. En Italie, jadis, le vieil intellectuel de droite Indro Montanelli avait inventé l’expression pour la Démocratie Chrétienne : « Voter en se bouchant le nez »…
France insoumise : les vainqueurs déçus du premier tour
Jean Luc Mélenchon, par contre, n’a pas fait le discours qu’imposait sa propre victoire. Curieux moment : le visage fermé, amer, déçu de n’être qu’en quatrième position, Mélenchon a été incapable de célébrer et de dynamiser encore un peu plus ce qui est un énorme succès de la France Insoumise. Un succès obtenu essentiellement par sa remarquable campagne qui a réussi à mobiliser des bataillons d’électeurs qui avaient déserté le champ politique. Avec 19,7 % des suffrages, il progresse de 8 points par rapport à 2012 et passe de 4 à 7 millions de voix. De ce point de vue, c’est le vainqueur de ce premier tour. Mélenchon a forgé un bloc qui peut être décisif dans la recomposition de la gauche (ou d’un « mouvement du peuple »).
Mais ce résultat indique aussi clairement que La France Insoumise doit collaborer avec d’autres forces. Mélenchon s’y refuse mais c’est pourtant la condition politique obligée pour modifier les rapports de force et ne pas abandonner l’avenir à la droite et à l’extrême droite. Ici aussi, les législatives seront un test majeur. Si, comme annoncé, la France Insoumise présente des candidats partout y compris face à des forces de gauche dont les programmes sont proches, ce succès du 23 avril aura été vain. La force du verbe mélanchonien a fait des miracles durant cette campagne. On attendait d’autres paroles hier soir. Et, en tous cas, que le dirigeant de la France Insoumise, qui ne déteste pas le « je », exprime son propre point de vue sur le second tour. Il a préféré renvoyer la question à la plateforme internet de son mouvement. « Vous êtes un matin qui commence à percer » a dit Mélenchon en s’adressant à ses militants. Un matin, qu’il a, hélas, rendu un peu brumeux…