Une enfance infinie

À propos de « Le commencement, l’éternité » de Jean Luc Outers  (Les Impressions Nouvelles, Bruxelles)

Sans doute que rien n’est plus proche de la mort que l’enfance. Cette traversée de la vie en aller-retour est au cœur du dernier livre de Jean-Luc Outers. « Le commencement, l’éternité », ce récit romanesque est un voyage tout à la fois initiatique et rétrospectif. La plupart des romans de l’écrivain belge (né en 1948) sont imprégnés d’épisodes autobiographiques qu’ils en soient le fil conducteur ou l’indispensable arrière-plan. Cette fois, ils en constituent la matière douce. « C’est pour tenter de retrouver les gestes et les mots qui me firent que j’écris ces lignes », nous prévient d’emblée l’auteur. Cette quête plongera ses contemporains dans la nostalgie des années 50 et 60 et fera découvrir aux plus jeunes un monde qui leur paraîtra quasi moyenâgeux. La petite enfance villageoise à Mortroux et Brachon, en pays de Herve, qui abritent grands-parents maternels et paternels et où les homélies du curé plongent le jeune paroissien dans une sorte d’effroi. Puis l’école gardienne en ville, à Wezembeek Oppem[1] où l’enfant découvre « avec stupeur qu’on y parlait flamand, une langue étrangère. Prendre conscience à quatre ans que sa langue dite maternelle  n’est pas la seule au monde peut, en effet, rendre un enfant inconsolable ». Jean Luc Outers se montre là le digne fils de son père Lucien ardent défenseur de l’identité francophone et futur fondateur du Parti qui l’incarna (le Front démocratique des francophones, phénomène politique des années 70). Mais, fort heureusement, il n’y a pas que peur et déception, la vie peut aussi être chaleureuse. Après Wezembeek et « sa langue étrangère », les Outers se retrouvent à Auderghem[2], dans une maison aussi étrange qu’originale, choix de sa mère et de sa tante, jumelles inséparables qui ne pouvaient que partager espace et famille. Le récit traverse l’époque avec ses grands et petits évènements et égrène les étapes incontournables dans la vie d’un enfant du XXe siècle. Le règne de la radio et la découverte de la télévision, les vacances à la « mer du Nord » et puis l’aventure du voyage vers le Sud à bord de la « DS », joyau automobile du père de famille. Sans oublier les tripotages de Frère Roger, l’instituteur mariste, qui prenait tour à tour chaque enfant sur ses genoux pour une lecture accompagnée d’une main baladeuse dans la culotte du petit protégé. Sans vraiment provoquer de scandale. O tempora, o mores…

À travers ce récit, l’enfance reste constamment la période bénie, l’identité d’élection. Sous la plume d’Outers, les étapes, la transition de la naissance à la vieillesse en passant par l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte semblent tour à tour un soulagement et un refus. Mais l’enfance demeure, à travers tout, comme une obsession qui domine l’existence. Il y revient à chaque occasion. « Enfant je n’ai jamais songé à l’écoulement du temps », mais ajoute-t-il « aujourd’hui le temps a pris la forme d’un compte à rebours (…) J’aimerais, le moment venu, retrouver le bonheur de l’enfance comme un retour au commencement ». L’aveu résonne comme une prière et inspire quelques-unes de ses plus belles pages toujours teintées d’une ironie tranquille.

Les étapes de la vie s’achèvent naturellement avec le vieillissement et le sentiment de la mort à venir. Elle rapproche alors de celle du père, ce brillant orateur qui imposait le silence lors des repas dominicaux pour lire à haute voix Chateaubriand en l’honneur de la langue française, le combat de sa vie. Il fallut, cruel destin de l’histoire, qu’il soit victime d’un AVC qui le rendit aphasique[3]. Ce qui fait dire au fils qu’il est, lui, « un survivant de la langue », mais en ajoutant : «  A croire que l’accident cérébral de mon père ait signé la fin de mon enfance ». Façon de parler et d’honorer la mémoire de son géniteur, car vous aurez compris que jusqu’à son dernier souffle, Jean Luc Outers restera l’éternel enfant qu’il n’a cessé de vouloir être.

 

 

[1] Commune située en Flandre, mais non loin de Bruxelles et qui est habitée à la fois par des Flamands et des Francophones.

[2] Une des 19 communes de l’agglomération bruxelloise.

[3] Dans l’un de ses plus beaux romans, « La place du mort », Jean Luc Outers raconte le voyage en voiture qu’il fit avec son père aphasique pour rencontrer une dernière fois ses vieux amis.

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1 réponse à Une enfance infinie

  1. Brigitte Ledune dit :

    Très beau texte, une envie de pénétrer dans cet espace temps révolu de l’enfance qui ne cesse de nous façonner… pour l’éternité.

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