Macron : le naufrage et la nausée

Même s’il faut toujours s’en méfier, parfois une image en dit plus que de longs discours. Le 19 décembre dernier, une photo prise à l’Assemblée nationale au moment de l’adoption de la loi sur l’immigration fait partie de celles-là. Les députés de la droite macroniste et LR ont mêlé leurs voix à celles du RN. les députés de l’extrême droite triomphent. Un peu à l’écart Marine Le Pen et le secrétaire général de son groupe politique, Renaud Labaye, affichent un sourire plus discret, mais encore plus jubilatoire. « Une victoire idéologique » dira — à juste titre — Marine Le Pen. Renaud Labaye ajoutera : « Pour nous, le but était d’arriver à un texte le plus dur possible. On a externalisé le travail, les LR ont fait le travail pour nous, et on se retrouve avec un texte RN.[1] » Ajoutons : Les républicains ont certes fait le travail puisqu’ils sont désormais alignés sur les positions du RN mais les macronistes le leur ont servi sur un plateau.

Même si elle est arrivée à son apogée, la collusion entre Macron et l’extrême droite ne date pas d’hier.[2] Depuis longtemps le duel était devenu un duo. Faut-il rappeler l’entretien accordé par le Président de la République en 2019 à l’hebdomadaire d’extrême droite, Valeurs Actuelles, où il qualifiait les manifestations antiracistes de « tiers-mondisme non aligné aux relents marxistes ». La loi contre le séparatisme de 2021 où il instrumentalise la laïcité contre l’Islam. Plus près de nous, en juin dernier,  il prenait en charge le mot « décivilisation » à propos des heurts entre les jeunes et la police et il recadrait vertement sa Première ministre, Élisabeth Borne qui à l’époque avait encore des états d’âme et avait qualifié le Rassemblement National d’« héritier du pétainisme ». « Assez avec les jugements historiques et moraux » avait-il décrété. Aujourd’hui avec sa loi sur l’immigration et toute la xénophobie qu’elle charrie, c’est plutôt Emmanuel Macron qui prend en charge l’héritage du pétainisme.

Sans entrer ici dans les détails de cette loi punitive à l’égard des migrants, deux de ses éléments constitutifs sont contraires à la Constitution et l’esprit de la République  : la préférence nationale et la négation du droit du sol. Là réside bien la « victoire idéologique » de Marine Le Pen. Déjà avant sa réélection en 2022, Emmanuel Macron   jouait avec le RN, comme on joue avec le feu. Dès 2017, il pratique la « triangulation  politique » qui consiste à s’emparer du vocabulaire et des concepts de l’adversaire/concurrent pour tenter d’aspirer son électorat. Aujourd’hui, il avalise ses valeurs et lui ouvre la route du pouvoir.  La légitimité offerte au RN par Macron l’ a porté au sommet des sondages.

Cette capitulation  en rase campagne n’est pas un acte isolé, elle s’inscrit dans une ligne politique globale. Jamais sans doute depuis des décennies, on n’a connu en France une telle politique de régression sociale et de violences policières.  Il faut aligner la réforme de l’assurance chômage, celle des retraites et aujourd’hui celle de l’enseignement, la répression d’une extrême violence du mouvement des gilets jaunes et de celui des activistes écologistes, les « bavures » dans les quartiers populaires, le tout accompagné par un incessant mépris de classe. Il faut insister sur la réforme de l’enseignement passée au second plan au vu de l’actualité parlementaire. La décision du ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal de diviser les classes en « groupes de niveaux »   (les faibles, les moyens, les forts) et de rétablir le redoublement a pour effet d’accentuer encore un peu plus la ségrégation scolaire et sociale.

À cette politique de droite radicale, Macron a ajouté la reddition idéologique à l’extrême droite. Cela ne le sauvera pas du naufrage politique désormais inexorable. Et pour toutes celles et ceux qui lui avaient apporté par deux fois leur voix pour faire barrage au RN, il ne  restera que le goût de la nausée.

[1] https://www.mediapart.fr/journal/politique/211223/loi-immigration-le-rn-savoure-sa-victoire-ideologique

[2] Voir notamment sur Le Blog : https://leblognotesdehugueslepaige.be/macron-la-reconnaissance-de-lextreme-droite/, https://leblognotesdehugueslepaige.be/macronages-en-terres-lepenistes/, https://leblognotesdehugueslepaige.be/macron-%e2%80%89en-meme-temps-la-droite-et-lextreme-droite%e2%80%89/

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14 réponses à Macron : le naufrage et la nausée

  1. Daems Jean dit :

    Vu mes problèmes de mémoire, tes commentaires me sont toujours très utiles (indispensables) pour comprendre le monde où je vis….

    1. Ouardia Derriche dit :

      C’était, hélas, largement prévisible, compte tenu de la proximité de Macron avec l’extrême droite. Ce qui l’est moins, c’est l’extrême droitisation des
      politiques et des médias et l’atonie du camp de la gauche en France.

      1. Hugues Le Paige dit :

        Non, je ne pense pas que Macron ait une quelconque proximité avec l’extrême droite. il s’agit plutôt d’un opportunisme cynique qui ressort de la basse manoeuvre politicienne. Cela dit, cela ne change rien au résultat… Pour ce qui est des médias et de l’extrême droite, à lire absolument cette enquête du Monde sur l’empire Bolloré
        https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/20/vincent-bollore-parrain-d-une-alliance-entre-droite-et-extreme-droite_6206950_823448.html

        1. Ouardia Derriche dit :

          Merci pour le lien. Vous avez raison quant à l’opportunisme de Macron mais le fait est qu’il n’est pas révulsé à la perspective de reprendre son fonds de commerce. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa sensibilité républicaine est très ténue.

          1. Hugues Le Paige dit :

            On est d’accord…

  2. lejeune charles dit :

    Merci de ce rappel des dévoyements du macronisme. Cela dit, pour celles et ceux, dont je suis, qui lui « auraient » (je suis belge) apporté leur voix au second tour pour faire barrage au FN, je ne pense pas qu’il ne reste « que » la nausée. Tout n’était pas écrit lors des deux élections de Macron, même si, bien entendu, le pire était plus à craindre que l’inverse. Le vote « républicain », face aux extrêmes, n’est pas un vote d’adhésion.

    1. Hugues Le Paige dit :

      Bien sur, Charles, le vote « républicain » ne signifie pas adhésion et j’aurais moi aussi « fait barrage ». J’avais d’ailleurs invité mes amis et lecteurs français à faire de même. Mais ce vote « qui oblige » comme le disait Macron lui même a été trahi. Depuis lors par ses manœuvres diverses, Macron a permis au RN d’engranger les succès et de se placer en position encore plus favorable pour 2027. Il faut ajouter que dans tout cela la gauche est inaudible et impuissante. On y reviendra.

  3. Francis Delmotte dit :

    Partout en Europe, de l’Andalousie à la Finlande, en passant par l’Italie, la Hollande, le Danemark ou la Suède, l’alliance de la droite dite « libérale » avec l’extrême-droite me paraît consternante et gravissime. Nous ne sommes pas à l’abri de ces noces barbares si l’on constate, depuis des années, l’amitié-complicité de Georges-Louis Bouchez et Théo Francken.

  4. Henri Goldman dit :

    Oui, opportunisme cynique. Macron suit ce qu’il croit être l’opinion majoritaire de l’électorat français. Et celui-ci penche effectivement à droite, comme dans de nombreux pays en Europe. Sur quelle sociologie électorale ce basculement s’appuie-t-il ? N’est-ce pas la vérité de « ce vieux pays de droite » qui remonte simplement à la surface ? Le bloc qui a failli conduire Mélenchon au deuxième tour a volé en éclats et la France des Gilets jaunes a basculé vers Le Pen. A gauche, je ne vois que Ruffin qui se pose la question de reconstruire un bloc historique potentiellement majoritaire, en s’employant notamment à rassurer la classe moyenne inférieure (celle qui gagne entre 1500 et 2500€ par mois), que Magnette vient aussi de redécouvrir et dont l’extrême droite attise les peurs du déclassement. En effet, il faudra que tu y reviennes.

  5. Pous Jacques dit :

    L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie. Il y a dans cette phrase plus de vérité qu’on ne pense, mais souvent on en retient que la première moitié alors que c’est la seconde la plus importante car le bégaiement n’évacue pas complètement la répétition dans ce qu’elle a de nouveau et c’est cette nouveauté qu’il faut décoder pour pouvoir la combattre.
    Ce tsunami qui emporte nos sociétés vers l’extrême droite nous fait penser à l’entre-deux guerres mais attention ce n’est ni le fascisme ni le nazisme que la gauche qui d’ailleurs n’a pas grand chose à voir avec les gauches des années trente, va devoir combattre mais autre chose. Là aussi, il ne faudra pas se tromper de guerre !

  6. Vander Heyden dit :

    Réflexion magistrale, Hugues.
    Revenir à l’humanisme toujours et partout et surtout ne pas diviser entre chapelles laïques et religieuses de tous ordres. Ce courant néfaste et récurrent qui oublie le respect de tous les humains doit être combattu pied à pied, heure par heure. Il y a tellement de preuves de solidarités vécues, qu’il faut continuer à y croire envers et contre tout. Ne soyons ni naïfs, ni cyniques, et continuons.

  7. Jean-luc Outers dit :

    Ne pas oublier que sans Hollande Macron n’existerait pas politiquement. C’est lui qui l’a nommé conseiller à l’Elysée puis ministre de l’économie. Cela en dit long sur la social-démocratie française.

  8. Jacques de G dit :

    tout cela étant dit, et je le partage asez largement, reste que le défi des migrations, qu’elles soient sociales, climatiques, géopolitiques ou intégristes restent un enjeu critique à gérer et pour lequel il n’y a pas de réponse simpl(is)te mais bien systémique ..

    Mais cette dimension systémique reste très largement ignorée, voire méprisée dans la plupart des enseignements et donc des pratiques ..

  9. Ominetti Pierrette dit :

    Oui, la « nausée » pour ce président cynique, arrogant, sans conviction ni colonne vertébrale, qui n’a que mépris pour ceux dont il dit qu’ils « ne sont rien ».  ». C’est un président toxique pour le pays tant son opportunisme et sa versatilité nous mènent tout droit dans les bras de Marine le Pen. Il saccage les fondamentaux de la pratique républicaine, manipulant les symboles, les lois et les règles, jusqu’à menacer le principe même de démocratie. Il est servile à l’égard des lobbys et des grands industriels, des cabinets conseil et des magnats des médias, installant de manière insidieuse une « oligarchie » à la française. Il parle, il parle et se rengorge de sa logorrhée technocratique, mais il est dans l’incapacité de concrétiser ce qu’il avance, les mesures pour la protection de l’environnement, la défense du droit des femmes (cf l’épisode G Depardieu), les mesures sur la fin de vie….
    Oui, la nausée.! Vivement Ruffin, Glucksman, Autain… ou d’autres, des personnes de conviction pour qui la Politique est une mission et un engagement. Bonne fin d’année et vivement 2024.

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