Le dernier carré de ses opposants aimerait le croire. A court terme, la question ne se pose pas vraiment. Emmanuel Macron a mené de main de maître une opération tactique totalement inédite dans l’histoire politique française. La destruction du PS est achevée, la droite classique est réduite dans une réserve parlementaire dont une bonne part des indiens est prête à le rejoindre dès que possible. Et, de leur propre comportement, les oppositions radicales se sont mises hors du jeu. La France Insoumise en refusant toute alliance à gauche, Le Front National en raison de dissensions internes et de fin de campagne présidentielle ratée. Certes, de leurs côtés, les vieux appareils étaient rancis mais il fallait encore organiser leur écroulement. C’est chose faite. Depuis Mitterrand, on n’avait pas connu d’aussi habile tacticien. Le président qui s’inscrit solennellement dans la tradition pure et dure de la Ve République a aussi bénéficié de ses effets radicaux en matière électorale. Depuis De Gaulle, en 1958, aucune majorité n’avait connu cette ampleur. Avec plus de 400 députés, lundi prochain, la légitimité de Macron sera bien installée et il pourra entamer ses réformes annoncées. C’est la première face du miroir.
Hokusai (1760-1849) « La vague »
Il en est une autre qui tempère la première. L’abstention record d’abord. On en a déjà égrené les diverses causes. Lassitude, résignation, inversion du calendrier électoral, absence d’alternative se sont additionnées pour qu’une majorité de Français ne se déplace pas dimanche. Légitimité conditionnelle, donc, mais il serait un peu vain d’en jouer dans l’immédiat : il n’y a pas eu non plus de mouvement pour limiter la marge de manœuvre présidentielle. Cela n’empêche pas de constater qu’avec 32 % des voix (15,39 % des inscrits !), La République en marche (LRM) empochera 75 % des élus. Cela signifie que seulement un électeur sur sept soutient ouvertement les projets Macron. Cela dit, il n’est personne pour pronostiquer, dans les circonstances actuelles, un deuxième tour qui corrigerait les effets du premier. Et si, durant la campagne des législatives, le chef de l’État et les responsables de LRM ont évité les sujets qui fâchent, aucun électeur ne peut ignorer le projet présidentiel de réforme du code du travail même s’il n’en mesure sans doute pas les effets concrets et dévastateurs. L’hégémonie absolue d’En Marche sur le plan institutionnel ne doit pas cacher la réalité du rapport de force politique global. Depuis des décennies, il n’a pas été aussi défavorable à la gauche. Le social libéralisme est triomphant. La gauche est en lambeaux. La reconstruction sera lente et difficile. Jean-Luc Mélenchon en avait les clefs. Un mouvement pouvait se cristalliser autour de son résultat présidentiel. Il a préféré pratiquer la politique de la terre brûlée pour que plus rien ne puisse exister à côté de la France Insoumise, ce « parti humaniste », du « peuple populaire » comme il le qualifiait hier soir. De ce point de vue, il a « réussi » son opération. Dimanche prochain, il restera une patrouille d’élus de gauche à l’Assemblée Nationale. La pire des configurations pour faire face à la dérégulation déferlante que l’écrasante nouvelle majorité sociale libérale imposera sans tarder.