Les paradoxes d’un triomphe

C’est inévitable, il y a toujours plusieurs lectures possibles d’un résultat électoral. Ceux qui, après le premier tour de ces législatives,  s’appuyaient sur des sondages qui promettaient au parti présidentiel jusqu’à 470 députés entendent relativiser son succès.  Ils ont tort : en à peine un an et contre tous les pronostics, Emmanuel Macron a bien raflé toute la mise.  La route de ses réformes dont on va bien vite mesurer la violence sociale inédite, lui est ouverte. Certes l’abstention record (et désormais majoritaire dans le pays !) entache sa légitimité  mais elle ne l’efface pas. De plus, cette majorité absolue (sans l’appoint du Modem) mais un peu moins pléthorique que prévu peut s’avérer être un atout, notamment dans la gestion d’un groupe où les novices a priori aux ordres peuvent aussi avoir des comportements imprévisibles. Sans omettre que la résistance limitée  mais réelle des oppositions offre l’image d’un cadre démocratique un peu plus respectueux du pluralisme.

Un renouvellement « de classe »

Mais il ne faut pas se voiler la face, pour Macron et son idéologie sociale libérale, c’est un triomphe. Et c’est bien par rapport à cette dernière que toutes les forces politiques vont désormais se positionner. Ces élections limpides dans leur issue ont cependant mis en évidence un certain nombre de paradoxes qui, à terme, peuvent aussi avoir des effets dévastateurs sur le cadre politique. Le premier d’entre eux réside dans  la mise en parallèle de deux chiffres : 57, 3 % d’abstentionnistes dont les gros bataillons sont fournis par les classes populaires, 70 % des élu-e-s d’En Marche issu-e-s des classes « supérieures »       (cadres, professions libérales, etc.) alors qu’ils n’étaient « que » 56 % dans la législature précédente. C’est une autre manière d’envisager la légitimité du nouveau pouvoir !  Le rajeunissement et la féminisation ont bien eu lieu mais le renouvellement du personnel politique est aussi un renouvellement « de classe ». Il imprimera naturellement sa marque dans la gestion des  affaires.

S’il y a bien eu, hier, une légère correction des résultats du premier tour, c’est dans la mesure où certaines formations ont réussi à mieux mobiliser le socle de leur électorat. La droite  traditionnelle d’abord  qui enregistre son plus mauvais score depuis les débuts de la Ve République mais maintient un groupe de plus de cent députés. Du moins pour l’instant car très rapidement, et en tous cas dès le vote de confiance au gouvernement, LR  et UDI se diviseront entre pro et anti-Macron dont la cohabitation sera intenable. La droite a sauvé les meubles mais ce sera  pour mieux imploser dans quelques semaines. Du côté socialiste, c’est déjà fait. Le PS avec 30 survivants (sur 280 sortants) est entré dans un coma politique profond dont on doute qu’il puisse sortir. Le FN aura une représentation symbolique et moins squelettique que prévu  mais il demeure comme prisonnier de sa fin de campagne présidentielle ratée et  de ses divisions internes.

L’illusion de l’abstention « révolutionnaire »…

Finalement Jean-Luc Mélenchon s’en sort mieux même s’il a dû ravaler ses ambitions. Bien élu à Marseille et avec 17 élu-e-s en mesure de former un groupe parlementaire, le chef de la France Insoumise et sa garde rapprochée  pourront jouer un rôle non négligeable à l ‘Assemblée Nationale. Pour la FI, ce scrutin restera cependant celui des occasions perdues.[1] Avec un minimum d’ouverture et le concours des autres forces de gauche, forte des 19,6 % de Mélenchon au premier tour de la présidentielle, elle aurait pu obtenir plus de 50 députés. Le refus de l’union a couté cher : 4 millions de voix en moins aux législatives ! Et Jean Luc Mélenchon avait beau, hier soir,  évoquer la  « grève  générale civique », rien ne permet d’assimiler l’absence dans l’isoloir à une  sorte d’abstention révolutionnaire. Ce serait se bercer d’illusions.

Dans la Somme, François Ruffin a, pour son compte, fait la démonstration de ce qui était possible. Jouant à fond la carte du rassemblement à gauche et soutenu par toutes ses composantes, il a réussi à se faire brillamment élire alors qu’il avait plus de 10 points de retard sur son adversaire macroniste (et ex-vallsiste) très bien implanté dans la région. Il est malheureusement peu probable que la FI en retienne la leçon. La formation du groupe parlementaire avec ou sans les communistes qui ont fait mieux que résister (10 élus) sera un premier test de la collaboration-cohabitation possible au sein de la gauche. Cette dernière est pourtant capitale face  une réalité dramatique que l’on évoque peu : depuis un demi-siècle le rapport de force gauche/droite n’a jamais été aussi défavorable à la gauche…

[1] On y reviendra plus longuement prochainement

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