Jupitérien : « qui a un caractère imposant, dominateur » écrivait Balzac. La « verticalité » d’un président « jupitérien », l’expression fait florès. Et l’extase médiatique force naturellement le trait. Mais quelle que soit l’aversion que l’on peut nourrir à l’égard du personnage et de sa politique, il serait sot de nier qu’effectivement, le président Macron s’est coulé dans la fonction avec brio, qu’il a imposé – symboliquement au moins, mais cela compte – une présence forte au plan international et qu’il a porté à son terme une stratégie politique qui ne doit rien à l’improvisation mais dont personne n’avait pris l’exacte mesure. La mise à l’écart, et pour certains au rencart, des partis traditionnels de la gauche et de la droite doit beaucoup à leur propre faillite, mais Macron a su habilement précipiter leur sort. Quitte à faire hurler ses contempteurs, il faut bien admettre que l’énarque, « le banquier de Rothschild », le protégé des vieux chevaux fatigués de l’establishment libéral avait bien « pensé » sa politique[1]. Il y a un « paradoxe Macron » qu’il vaut mieux ne pas ignorer surtout si l’on veut le combattre avec un minimum d’efficacité. Finalement Macron a pris acte de la constante qui s’est imposée depuis trois décennies : à quelques variantes près, la gauche et la droite de gouvernement appliquent la même politique. Il était donc logique, pour lui, de les rassembler sous le même drapeau du social-libéralisme triomphant. Afin de poursuivre – et d’intensifier –, en dépit et malgré ses échecs répétés, une politique blairiste (qui est sa véritable inspiration), il fallait au moins « chambouler » le cadre politique traditionnel. Une manière de faire de l’ancien avec du neuf ou mieux encore d’en revenir à la célèbre maxime lampedusienne[2] : « Tout changer pour que rien ne change ».
Les paradoxes macroniens et le « post-politique »
Cela ne signifie pas pour autant que le bouleversement du cadre politique sera sans conséquence sur les futurs rapports de force au sein de la société française. Et ici réside un des paradoxes macroniens. Ce bouleversement s’accompagne d’un retour aux sources de la Ve République dans une démarche qui a incontestablement des accents gaulliens, notamment en ce qui concerne le rôle des partis dans la République et la remise au premier rang de la monarchie républicaine. Même si n’est pas de Gaulle qui veut…
Reprenant la théorie des sociétés « post-démocratiques » où « l’hégémonie néolibérale a privé la souveraineté populaire de son champ d’exercice », l’idéologue du « populisme de gauche » et inspiratrice de Jean-Luc Mélenchon, Chantal Mouffe estime dans Le Monde[3] que « dorénavant, c’est la possibilité même de contestation qui est récusée avec la disparition de la distinction entre la droite et la gauche. C’est vraiment, dit-elle, le stade suprême de la post-politique ». Le positionnement de Macron est sans doute plus subtil et pas moins dangereux. Plutôt que de supprimer la distinction gauche-droite, il fusionne les sociaux libéraux des deux camps. Quand il écrit que « l’idéologie dans un système démocratique mature, délibératif, est une condition-même de restauration de l’action politique, au-delà d’un ensemble de mesures, comme étant une capacité à proposer un autre monde et, ce faisant, à s’engager dans le temps au nom des principes »[4], cela ne la place pas vraiment dans le « post-politique ». Même si on connaît la nature de « l’autre monde » dont rêve Macron.
En tous cas, pour Mouffe, cet « aveuglement » (de Macron) « au lieu d’endiguer le Front National (…) peut conduire à son renforcement et même à sa victoire en 2022 ». Voilà, certes, une thèse à prendre en considération. On sera plus sceptique quand elle affirme dans la foulée que le recours ne peut être que Mélenchon et la France Insoumise qui nous montrent « qu’une autre issue est possible, celle de la révolution citoyenne ». Sauf que sur le plan théorique, Jean-Luc Mélenchon, a lui-même banni de son discours le terme de « gauche » et les « braves gens » auxquels il s’adresse désormais viennent de tous les horizons. Quant à la stratégie électorale qu’il a adoptée en refusant toute alliance, elle ne peut conduire qu’à un échec cuisant. La « révolution citoyenne » et avec elle, toutes les forces de contestation antilibérales, auront bien du mal à s’en remettre.
A quelques jours du premier tour des législatives qui se déroule dimanche prochain, les sondages, certes incertains en raison de la configuration politique inédite, convergent. Incapable de s’entendre, la gauche a choisi le suicide collectif. A Montreuil, pour ne prendre qu’un seul exemple, pas moins de 12 candidats sont étiquetés « à gauche ». A l’inverse, l’habileté tactique de Macron peut lui valoir une majorité absolue qui ne lui était pourtant pas promise. Même si les conditions de ce scrutin laissent la porte ouverte à de nombreuses surprises.
[1] Voir à ce sujet l’article publié en 2011 par Emmanuel Macron dans la revue Esprit et dont Le Monde Idées vient de republier de larges extraits (Le Monde du 27 mai 2017).
[2] Dans Le Guépard de Lampedusa, le Comte Salina, incarnant l’aristocratie finissante de l’Italie de la fin du XIX, résume ainsi le passage du pouvoir à la bourgeoisie italienne du Risorgimento.
[3] Le Monde du 2 juin 2017, Chantal Mouffe, « Macron stade suprême de la post-politique ».
[4] Texte déjà cité.