L’Europe du renoncement et de la honte

Au XXe siècle, durant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ont voulu feindre d’ignorer l’existence des camps d’extermination parce qu’ils ne constituaient pas un « enjeu stratégique ». Au XXIe siècle l’Europe se rend complice du génocide perpétré à Gaza sous les yeux du monde entier. L’Europe est restée silencieuse quand elle n’a pas été complice du gouvernement Nétanyahou. Pas un mot sauf quand la présidente de la Commission a affirmé sa solidarité avec l’État hébreu, pas de sanction, les fournitures de matériel militaire à Israël qui se sont poursuivies comme si de rien n’était : devant l’histoire l’Europe sera coresponsable du génocide en cours. Le peuple palestinien a été purement et simplement abandonné aux mains de ses génocidaires. Depuis 1948 Israël peut enfreindre les lois et les conventions internationales sans aucune opposition. Aucun autre pays au monde n’a bénéficié d’une telle complaisance dans la transgression du droit quand il ne s’agissait pas d’une complicité active. Les nations du Sud ne s’y trompent pas et ne l’oublieront pas. Au niveau des gouvernements européens, seules l’Espagne et l’Irlande ont sauvé l’honneur.

Les 27 ont poursuivi cette politique lors des bombardements israéliens et américains sur l’Iran. Là encore aucune distance. Et même pire puisque la seule réaction européenne a été de « réaffirmer le droit d’Israël à se défendre ». Les dirigeants européens n’ont même pas caché leur soulagement. Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a parfaitement résumé cet état d’esprit  en affirmant que « les Américains avaient pris leur responsabilité dans la région » et d’ajouter « Ce qui est déterminant (…) c’est qu’une menace importante a été éliminée. (…) C’est une bonne nouvelle pour le Moyen et le Proche-Orient, mais aussi pour l’Europe ». Le Chancelier Merz avait déjà résumé encore plus brutalement en déclarant qu’Israël faisait le « sale boulot ».

Historiquement l’Europe s’est condamnée elle-même. En Occident elle était la seule puissance capable d’œuvrer pour le maintien du droit dans les relations internationales. Elle a préféré renoncer à ses propres valeurs, celles qui sont inscrites dans ses textes fondateurs. Même si l’on savait qu’elles étaient depuis longtemps galvaudées. Et si par sa politique ultralibérale l’Union Européenne a déjà compromis les espoirs dont elle était porteuse, cette fois ce sont les fondements mêmes de sa constitution qui ont en cause. L’Union accepte donc que la seule force régisse désormais les relations entre les États et les peuples. La politique de réarmement à tout crin et l’installation d’une économie de guerre (dont les États-Unis seront les premiers bénéficiaires) participent aussi de ce nouveau credo européen qui paradoxalement finira par faire ressurgir les fantômes du nationalisme. Le récent sommet de l’OTAN ne fait que confirmer ces choix et l’aplatissement devant Trump. Que faire de cette Europe suicidaire ? Personne ne peut aujourd’hui répondre à cette question ni tracer des perspectives qui lui donneraient un sens. L’Union Européenne s’est installée dans un processus de dégradation morale et politique qui porte en elle les germes de la désintégration.

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2 réponses à L’Europe du renoncement et de la honte

  1. Jean Moulin dit :

    Hugues, tu conclus ta très nécessaire dénonciation de ces nouveaux sommets de la stratégie du « Deux poids, deux mesures » dont l’Europe s’est faite la championne ces dernières années, au mépris de ses valeurs fondatrices, par un constat sans appel : « L’UE s’est installée dans un processus de dégradation morale et politique qui porte en elle les germes de la désintégration. » Nous ne pouvons que fustiger sans réserve cette ignominie qui est perpétrée en notre nom, soi-disant en toute démocratie bien sûr. Comment imaginer que la voix de cette Europe puisse encore trouver le moindre écho dans le Sud global ? Comment penser, dans ces conditions, que l’UE puisse encore prétendre jouer le moindre rôle effectif dans le règlement des grandes questions de la guerre et de la paix dans le monde ? Comment l’UE osera-t-elle encore donner urbi et orbi les leçons de bonne conduite démocratique et en matière de droits de l’homme dont elle a l’habitude de se gargariser ? Poser ces questions, c’est y répondre.

    Quant à la réussite supposée de la fameuse opération exceptionnelle (dixit le grand prestidigitateur Magatrump) menée contre les installations nucléaires de l’Iran, le satisfecit décerné par le ministre social-démocrate allemand Pistorius que tu cites [« Ce qui est déterminant (…) c’est qu’une menace importante a été éliminée. »] est tout simplement erroné. Les services de renseignement étatsuniens ont platement remis les choses en place : seuls des dégâts relativement mineurs ont été causés à ces installations, et en particulier les réserves de 400 kg d’uranium enrichi ont été très probablement préservées. Au total, la « menace importante » n’a été postposée que de quelques mois… Pouvait-on réellement imaginer qu’avec quelques bombes, fussent-elles hyperpuissantes, il aurait été possible d’annihiler le potentiel nucléaire d’un grand pays comme l’Iran ?

    Bref, « ils » ont tout faux et nous mèneront au chaos et à des conflits de plus en plus terribles si nous les laissons faire.

  2. Ouardia Derriche dit :

    En tout cas, jamais la citation de Coluche n’aura été plus appropriée:  » la dictature, c’est ferme ta gueule; la démocratie, c’est cause toujours « .
    En effet, les manifestations populaires les plus massives se sont répétées pour dire dans tous les pays européens non au soutien politique et militaire de l’UE à Israël, non au statut privilégié qui lui est conféré par l’UE dans les échanges commerciaux et non au subventionnement de la recherche en Israël qui bénéficie directement à son industrie d’armement, les dirigeants de l’UE s’en soucient comme d’une guigne. Jamais le sentiment d’impuissance des citoyen.nes européen.nes n’aura été plus fort. Ce n’est plus seulement le Sud global qui ne croit plus en l’Europe et en ses prétendues valeurs, ce sont ses propres citoyens qui n’y croient plus guère non plus.

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