Lettre d’Italie : le « piazze » pour la Constitution

Cent places (« le piazze ») d’Italie envahies samedi par des centaines de milliers de citoyen(ne)s pour défendre la Constitution, cent places bariolées par les drapeaux tricolores. Il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas d’un regain de nationalisme à quatre jours de la célébration du 150e anniversaire de la fondation de l’unité italienne. Même si l’affirmation de l’appartenance nationale se veut aussi une réponse au repli identitaire et égoïste de la Ligue du Nord et de ses ministres qui n’ont pas voulu faire de cet anniversaire un jour férié. La Constitution italienne issue de la résistance et fondée sur l’antifascisme est l’une des plus progressistes au monde tant dans le domaine des libertés individuelles que dans celui des droits sociaux et économiques. Ce n’est par hasard que Berlusconi en a fait sa cible principale depuis son entrée en politique en 1994. Et le projet de réforme constitutionnelle de la justice adoptée cette semaine par le gouvernement comme les agressions contre l’école publique (accusant notamment ses « enseignants d’inculquer aux enfants des valeurs différentes de celles défendues dans les familles ») constituent de nouvelles attaques frontales contre les principes constitutionnels italiens.

La réforme de la justice qui demandera encore un long parcours parlementaire et qui se terminera vraisemblablement par un referendum populaire est certainement la plus dangereuse pour la démocratie. Par différentes mesures (séparation de la carrière des juges et du ministère public, modification de la composition du Conseil Supérieur de la magistrature, divisé en deux et placé sous la coupe des politiques, etc.), Berlusconi porte directement atteinte à l’indépendance de la justice. Le premier ministre n’a pas caché ses intentions, déclarant qu’avec une telle réforme, en 1993, la magistrature n’aurait pas pu décapiter une classe dirigeante entière… Allusion à l’opération « mani pulite » et à la fin de la corruption systématique d’une large part des responsables politiques de l’époque.

« En 150 ans d’existence, l’Italie, au prix de tragédies inhumaines, a réussi à se donner une seule et grande patrie. Cette patrie est la Constitution antifasciste », écrit ce dimanche Curzio Maltese, dans Le Repubblica. Et Maltese de résumer le conflit politique qui agite l’Italie depuis quinze ans, depuis l’entrée en lice de Berlusconi en 1994, de cette façon : « le cœur du conflit (…) se situe entre une Italie composée d’une forte et solide minorité qui ne croit pas aux valeurs de la Constitution, ne les pratique pas et voudrait les effacer et une Italie majoritaire mais divisée qui se reconnaît dans le pacte fondateur de la République et qui voudrait finalement le voir appliquer. » Le journaliste de la Repubblica est peut être optimiste sur le rapport minorité/majorité mais sur le fond son analyse est pertinente.


Photos HLP

Et samedi ce sont les défenseurs de ces valeurs – la primauté de l’intérêt public sur le privé, la séparation des pouvoirs, la laïcité de l’état, et l’égalité – qui manifestaient massivement dans les cent villes italiennes mobilisées par une constellation d’associations. J’ai vu cette foule bigarrée sur la place Santa Croce de Florence qui entamait alternativement l’hymne national de Mamelli et Bella Ciao. Les batteries de casseroles scandaient les slogans et les manifestants arboraient des pancartes illustrant les articles de la constitution ou rappelant que « L’Italie n’est pas un bordel », allusion à la conception berlusconienne des rapports entre les sexes. Il y avait de l’énergie et de la joie dans ces démonstrations. Ici et là, artistes, intellectuels, magistrats et responsables d’association prenaient la parole. Mais la faiblesse de ce mouvement, comme des autres du même genre qui l’ont précédé, est la manque, voir l’absence totale, de traduction politique. Quand il n’est pas centré sur ses divisions internes, le centre-gauche est inaudible et les autres petites formations plus ou moins situées à gauche sans réelle crédibilité. L’opposition demeure sans véritable projet. C’est bien le drame de la gauche italienne.

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