Les paradoxes de l’Unité italienne

« Le bandiere tricolore sono dapertutto », les drapeaux tricolores sont partout : l’homme qui me parle dans la rue de Florence est à la fois surpris et légèrement incantatoire. Il n’est pas le seul aujourd’hui en Italie. Mais il ne faut pas s’y tromper. La vérité en deçà du Po n’est pas la même qu’au-delà du fleuve. Dans la plupart des bastions de la Ligue du Nord, on estime qu’il n’y a rien à fêter ce 17 mars 2011. Il ya pourtant 150 ans, jour pour jour, que l’unité italienne était accomplie après bien des heurts et des combats. Finalement, les chemises rouges de Garibaldi faisaient triompher leur cause. Non sans compromis, avec la monarchie notamment. Les républicains qui étaient l’âme de la lutte pour l’unité devront encore attendre deux guerres mondiales, le règne du fascisme et enfin la chute de Mussolini pour voir leur idéal triompher en 1948 avec l’adoption d’une constitution progressiste qui est toujours aujourd’hui la cible de la droite berlusconienne.


« un tricolore à chaque fenêtre »…une invitation du PD

L’Italie repeinte en vert, blanc et rouge demeure un pays divisé. Les célébrations qui se déroulent depuis hier avec plus ou moins de ferveur selon les lieux et les milieux ne peuvent faire oublier les lacérations qui subsistent tant dans la réalité contemporaine que dans l’interprétation de l’histoire. La persistance d’un développement inégal entre le Nord et le Sud. La transformation d’un pays d’émigration en terre d’immigration avec les incertitudes et les peurs comme toujours exploitées leur par les populismes. Le déclin de valeurs de références comme l’antifascisme décrété hors de saison par le berlusconisme. Voilà quelques-uns des ferments de division ou du moins d’obstacles à une vision commune du présent et du futur. Alors le nationalisme à fleur de peau peut cohabiter avec l’indifférence. Le paradoxe le plus symbolique et le plus criant en ce moment de célébration nationale est sans doute le sort réservé à la culture par l’état italien. La cure d’austérité imposée par le gouvernement Berlusconi a diminué de 70 % les budgets du patrimoine et des biens culturels et de 40 % du secteur du spectacle. Le ministre de la culture impuissant a démissionné.

Dimanche dernier à l’Opéra de Rome avant d’entamer le Nabucco de Verdi, l’œuvre la plus emblématique du Risorgimento, le maestro Riccardo Muti a, fait exceptionnel, pris la parole : « Le 9 mars 1842, a-t-il dit, la première de Nabucco a incité les Italiens à la lutte pour la liberté. Je ne voudrais pas que le 12 mars 2011 le Nabucco de ce soir soit le chant funèbre de cette espérance ». A la fin, en lieu et place du bis traditionnel, Muti a invité le public a entonné avec le chœur de l’Opéra le « Va pensiero », devenu incarnation de la résistance aux attaques contre la culture. Moment unique et précieux. Instant d’une émotion rare mais qui indique mieux que tout discours, les limites de la célébration de l’unité italienne dont la culture a été un élément constitutif.

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