Les Vespasiennes de Silvio Berlusconi

Finalement, il n’est pas venu. Hier soir, Silvio Berlusconi a renoncé à se produire dans « Porta a Porta », l’émission de son ami Bruno Vespa sur RAI1. Le Sénat avait prononcé sa déchéance à 17.43, tandis que le Cavaliere avait réuni ses troupes devant son palais romain orné d’une bannière dénonçant le « coup d’état ». Tout a été joué, tout a été dit. Berlusconi brandissant les stigmates de sa martyrologie, ses défenseurs inconditionnels de Forza Italia prêts à faire le coup de poing avec les « tradittori » qui ont suivi Angelino Alfano, les « veuves noires » du Cavaliere, les sénatrices qui lui doivent tout et qui arrivent dans l’hémicycle drapées de noir en signe de deuil. Dans un dernier baroud du déshonneur, les berlusconiens dénoncent pêle-mêle les magistrats (assimilés aux terroristes des Brigades Rouges…), les persécutions judiciaires, les communistes assoiffés de vengeance.

Répétition inlassable d’une litanie absurde qui domine la scène politique depuis des mois. A un tel point que la question fondamentale, celle qui est constitutive de l’anomalie italienne – la condamnation à quatre ans de prison pour fraude fiscale du plus puissant homme d’affaires, trois fois premier ministre en 20 ans- semble comme perdue dans l’immémoire collective. Seuls font débat les conditions d’une déchéance, prévue par une loi, qu’en son temps, les partisans du Cavaliere eux-mêmes avaient votée. Mais finalement, après bien des détours, l’état de droit était victorieux. Et Le Caïman fut déchu dans un étrange silence dont on ne sait pas encore ce qu’il célébrait. En tous cas, le vote des sénateurs sanctionnait la fin d’une époque. Le paysage politique italien en sort bouleversé : la droite est émiettée, Berlusconi n’a pas renoncé à jouer un rôle politique, et le centre gauche lui-même vit une fin de parcours historique et lourde de conséquences avec l’arrivée prévue à sa tête du blairiste Matteo Renzi. On y reviendra.


« Inoxydable »

Mais hier soir, le dernière épisode de la déchéance berlusconienne se jouait naturellement à la télévision, en l’absence donc, du Cavaliere déchu. « Porta a Porta », le talkshow quotidien de RAI 1, a toujours été l’image la plus fidèle de l’hégémonie politique et idéologique du moment. Son grand ordonnateur, l’onctueux Bruno Vespa officie à la RAI depuis plus d’un demi-siècle. Il est en quelque sorte l’Andreotti– celui que l’on appelait « l’inoxydable- du petit écran. Il a servi avec zèle le pouvoir démocrate-chrétien, la parenthèse du craxisme, et bien entendu les vingt années de berlusconisme. Le Cavaliere le lui rendait bien, lui réservant ses grandes déclarations et ne manquant jamais d’assurer personnellement la promotion des ouvrages que ce cardinal médiatique publie avec régularité tous les deux ans. Hier soir, donc, la composition du plateau de Porta a Porta était une sorte de dernier hommage rendu au camp du déchu.


Un dernier hommage à l’absent déchu

Plateau déséquilibré, comme d’habitude, où les éditorialistes de la presse berlusconienne font la pluie et le beau temps et où l’une des plus fidèles égéries de Berlusconi, Mariastella Gelmini, lançait anathèmes et vociférations à l’encontre des quelques participants (l’émission s’assure toujours des alibis) qui se félicitaient de la fin de l’anomalie italienne. Pas totalement ingrat, Bruno Vespa offrait une dernière tribune aux amis de son protecteur évincé. Mais les hommes politiques passent et « Porta a Porta » demeure. Pendant 20 ans l’émission de la RAI – de la politique aux faits divers- a illustré la prédominance idéologique du berlusconisme. Bruno Vespa saura se mettre au service des nouvelles majorités.

Ce contenu a été publié dans Blog. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.