Je voudrais placer cette première rencontre de la saison[[cette chronique a été diffusée, – dans une version plus courte – à la RTBF sur Soir Première : désormais ma chronique radio sera en effet présentée le jeudi à 18.25]] sous le signe d’une leçon de journalisme. Elle nous concerne au premier plan, nous, les journalistes, les reporters ou les chroniqueurs mais elle est aussi essentielle pour vous, les auditeurs, lecteurs ou spectateurs qui a travers cet exercice toujours singulier recevez les nouvelles du monde d’ici et d’ailleurs, celles qui doivent, dans les meilleurs des cas, vous permettre de vous forger votre propre regard sur l’état de notre univers.
Cette leçon à la fois magistrale et douce-amère est celle que nous donne Eric Fottorino dans son récit Mon tour du « Monde », paru il y a quelques mois chez Gallimard. Dans ce très beau texte, Fottorino, journaliste et écrivain – très bon romancier même – nous livre son parcours long de trente ans au célèbre quotidien fondé par Hubert Beuve Mery. Trois décennies pour expérimenter toutes les facettes du métier : du spécialiste de la bourse et des matières premières au grand reporter en passant par le chroniqueur ou le portraitiste, pour aboutir à la direction de la rédaction puis du groupe de presse tout entier et finalement s’en faire expulser par les nouveaux actionnaires qu’il avait rassemblés pour tenter de sauver le quotidien. Les 150 dernières pages de ce « Tour du Monde » offrent le récit de ce sauvetage et la chute finale de l’auteur. Il s’agit forcément d’un plaidoyer pro-domo et donc sujet à contestations mais qui décrypte l’univers impitoyable des médias, et en particulier de la lutte pour le contrôle de la presse par des intérêts financiers et politiques. Dans ce récit l’ombre tentaculaire et omniprésente d’un Alain Minc toujours à l’affût de profits personnels et de services à rendre à ses maîtres est emblématique du système qui règne aujourd’hui sur la presse française.
Mais auparavant, les 400 premières pages prennent la forme d’un hymne au journalisme à la fois rigoureux et brillant, respectueux de ses lecteurs et de ses propres règles éthiques, ce qu’ a pu être ce « Monde » mythique pour des générations de journalistes. En 1988, quand il intègre définitivement Le Monde, Eric Fottorino vient de La Tribune, proche de la « rue des Italiens »[[siège du Monde jusqu’à la fin des années 1980.]]. « Je fis mes bagages pour Le Monde, à trois cents mètres de là. Jamais, ne fis plus grand voyage », écrit-il. Et c’est bien le récit de ce « grand voyage » qui nous transporte avec passion, intelligence et aussi, avouons-le, un brin de nostalgie grâce aux mots choisis par l’auteur. « Les journalistes sont tissés par les mots qu’ils ont écrits, même s’ils les ont pour la plupart oubliés nous, dit justement Fottorino. C’est une trame fugace, parfois plus précise quand l’imagination a frappé, ou qu’il reste des articles imprimés pour réveiller le souvenir », ajoute-t-il. Ces mots et ces paroles que, soit dit en passant, l’auditeur ou le lecteur a toujours intérêt à prendre avec une certaine distance. Et ce n’est pas notre récente actualité judiciaire qui me contredira.