Affaire Martin : les dérives de l’émotion

Parfois, on se revoyait aux heures les plus sombres de l’affaire Dutroux quand les médias revêtus de leur armure de chevalier blanc mélangeaient allègrement tous les genres : justicier-policier-journaliste…Certes en 1996, dans le traumatisme de l’horreur et l’indignation des « dysfonctionnements » des principaux appareils d’Etat, certaines dérives pouvaient sinon se comprendre au moins s’expliquer. Même si leur persistance éclairait d’une manière crue le système médiatique… Mais aujourd’hui, en cet été 2012 (il est vrai que l’été et sa chaleur paresseuse se traduisent souvent par un manque de sujets), la répétition de certains dérapages laisse pantois. L’annonce de la libération conditionnelle de Michèle Martin a enflammé tous les supports. Bien sûr, il y eut des plumes et des voix pour sauvegarder la raison.

Mais quelle impression d’ensemble ! Jamais une manifestation comme celle organisée par Jean-Louis Lejeune ne bénéficia d’une telle promotion tous azimuts et jamais un défilé de 5000 personnes (au mieux) n’a joui d’une telle couverture médiatique. Ensuite il apparaissait évident –indiscutable même- que le fonctionnement du Tribunal d’application des peines devait être réformé – et dans l’urgence de préférence-, que la loi sur la libération conditionnelle devait être revue et, pour les plus « en pointe », qu’il s’agissait enfin d’inscrire dans les textes les peines incompressibles. Comme si la réforme née précisément des manquements constatés lors de l’affaire Dutroux, notamment sur la prise en considération et la place des victimes, n’avait pas eu lieu. Et puis le déferlement des commentaires – y compris de haine- indistinctement livrés aux lecteurs. A ma connaissance, c’est la première fois qu’un quotidien comme « Le Soir » publie dans son édition « papier »[[ (du 29 août)]] des textes anonymes (ou – ce qui revient au même pour le lecteur- seulement accompagnés des pseudonymes d’internautes comme « Mamy » ou « Picaillon »…)

On peut évidemment comprendre l’émotion et l’indignation des parents des victimes (même si tous ne se sont pas exprimés et que certains ont même avancé un point de vue opposé). Mais des avocats ! Ceux-là même qui doivent se battre au quotidien devant le Tribunal de l’Application des peines pour obtenir en faveur de leurs clients « ordinaires » des libérations conditionnelles de plus en plus restreintes. Le narcissisme médiatique de certains hommes de robes ne justifie pas tout. Quant aux politiques, lesquels ont eu le courage de résister à ce que le criminologue Philippe Mary appelait justement le « victimo-populisme » [[(Le soir du 28 août 2012)]] ? Pas un, parmi ceux qui sont aux responsabilités et qui se sont exprimés en tous cas. Une fois encore, donc, l’émotion médiatique aura tout emporté sur son passage. Avec le risque non négligeable de régresser au nom du droit des victimes vers une justice privée qui prévaudrait sur la notion même d’intérêt général. Le tribunal d’application des peines et la Cour de Cassation ont heureusement fait prévaloir ce dernier. Mais le culte de l’ émotion veille…

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