La frontière est un concept paradoxal. Il y a des manières contradictoires de la concevoir et de la construire. En souhaitant réformer l’accord de Schengen et revoir les règles permettant de fermer les frontières au sein de l’Union européenne, les duettistes de la politique-spectacle, les Berlusconi et Sarkozy viennent d’illustrer la conception « forteresse » de la frontière. Le raison invoquée est la lutte contre l’immigration clandestine mais chacun sait qu’i l s’agit pour les deux dirigeants de mener d’abord une opération de politique intérieure et de donner des gages l’un à la Ligue du Nord et l’autre au Front National. En attendant cette frontière-là, est bien celle que l’on ferme, où l’on se barricade avant de s’y recroqueviller. Et c’est bien celle qui triomphe en période de crises et de doutes.
Même si elle n’est pas exempte d’ambiguïtés, il existe une autre forme de frontière, celle que l’on tient ouverte dans un esprit de convivialité et de partage et qui protège d’abord les plus faibles. Celle que défend Régis Debray dans son récent « Éloge des frontières » paru chez Gallimard. « On confond les frontières et les murs. Les frontières sont des vaccins contre les murs. Elles permettent le va et vient. La frontière est une marque de modestie et de respect de l’autre : non je ne suis pas partout chez moi », écrit Debray pour qui une frontière invite à un partage du monde et décourage son annexion par un seul. L’écrivain-philosophe qui nourrit sa réflexion notamment de ses périples au Proche Orient et qui souhaite aussi rétablir l’équilibre entre la géographie et l’histoire reconnaît que la frontière est à la fois le remède et le poison.
Après trois décennies d’une mondialisation triomphante qui a abouti à une crise multiple et sans précédent, la tentation du repli et de l’enfermement se manifeste un peu partout et souvent sous les pires formes de l’exclusion de l’autre. Et un populisme mêlé de xénophobie grandit de jour en jour. Pour y faire face certains proposent une « démondialisation », voir une « relocalisation », d’autres souhaitent un néoprotectionnisme. Et précisément, le besoin de protection est fort. Régis Debray, lui, suggère cette frontière ouverte en rappelant aussi, tout simplement, « qu’il n’y a de vie que circonscrite ». Pourquoi pas mais n’oublions pas qu’une fois installée, il est toujours plus facile de fermer une frontière que de l’ouvrir.