L’information pourrait paraitre anecdotique, ou en tous cas, sans grande portée. Elle est pourtant révélatrice d’un certain climat. Samedi dernier se sont tenues à Paris des « Assises contre l’islamisation de l’Europe ». On y a entendu les habituels discours xénophobes enrobés dans les fantasmes et les clichés jouant sur la peur d’une opinion souvent mal informée sur les questions touchant à l’Islam et aux musulmans. Invasion, terrorisme, intégrisme, immigration, dans ces discours haineux tout est volontairement confondu. C’est en général l’extrême droite la plus radicale qui organise ce genre de manifestation.
C’était encore le cas à Paris avec le groupe Bloc Identitaire mais celui-ci s’était allié à « Riposte laïque » qui se revendique « de gauche, laïque et progressiste ». Ce n’est pas la première fois que cette alliance contre-nature se forme dans l’anti-islamisme, témoignant ainsi de la vraie nature de ce combat. Ce n’est par hasard non plus que Martine Le Pen utilise l’anti-islamisme dans son arsenal de propagande mais ce qui est nouveau est qu’elle le fasse au nom de la défense de la République et de la laïcité dont elle affirme même être le vrai rempart. Le Front National qui a le vent en poupe, légitimé notamment par le sarkozysme sécuritaire, mêle ses vielles diatribes xénophobes à la défense de valeurs qu’il ne revendiquait pas jusqu’ici. La formule risque d’être payante. Surtout si à gauche comme à droite on ne se démarque pas catégoriquement de ce populisme anti-islamiste. Cette instrumentalisation de la laïcité, que l’on retrouve d’ailleurs chez nous aussi dans certains discours, inquiète l’ancien Grand maître du Grand Orient de France pour qui « la défense de la laïcité ne doit pas servir à exprimer une xénophobie et un racisme antimusulman ».
Personne ne doute que l’émergence de l’Islam en Europe pose de nouvelles questions à la laïcité notamment en ce qui concerne l’expression des convictions religieuses dans l’espace public ou la conciliation entre certaines pratiques religieuses et les valeurs égalitaires, homme-femme, notamment. Tout cela est débattu dans nos sociétés et doit encore l’être. Mais l’expression de ce nouvel anti-islamisme qui s’étend bien au de-là de l’extrême-droite inquiète. Dans les sociétés en crise que nous connaissons, crise multiforme,- économique, sociale-identitaire- idéologique- l’anti-islamisme sert d’exutoire et les musulmans de boucs émissaires. Un peu comme l’antisémitisme des années 30 en Europe. A cette époque le socialiste allemand August Bebel avait baptisé cet antisémitisme « le socialisme des imbéciles », l’anti-islamiste contemporain mériterait bien l’appellation que lui a donnée l’historien Daniel Lindenberg, « d’antitotalitarisme des imbéciles ».
Ce 24 décembre 2010, PS et mea culpa… : Dans les dernières lignes de cette chronique, j’ai commis un anachronisme évident puisqu’ August Bebel est mort…en 1913 et sa dénonciation portait donc sur la montée de l’antisémtisme préalable aux …années 30. Sans doute faisait-il allusion à l’affaire Dreyfus et à ses suites. Pas de message d’outre-tombe donc ! Mais au-delà des dates et des périodes, le parallèle entre les deux phénomènes reste bien valable et l’expression de Bebel tout aussi justifiée.