Journal de campagne (9) : « Drôle de campagne » (2)

On ne peut pas suivre une campagne sans scruter les médias, surtout ceux qui laissent des traces. Et de ce point de vue, le télescopage des deux dernières « Une » du Monde est saisissant. L’édition datée de samedi titre « Le débat fiscal droite-gauche se durcit » avec quelques articles et contributions qui étayent fortement l’importance de cette question fondamentale dans une campagne électorale, comme la présidentielle, qui suppose, plus que toute autre, l’expression d’une vision du monde. Le lendemain – édition datée de ce dimanche – la titraille en première page est d’une autre sonorité : « Pourquoi la campagne électorale est imprévisible », évoquant le « désappointement » et le désintérêt des électeurs qui se manifeste, notamment, selon les sondages, par une tendance forte à l’abstention (aux alentours des 30 %, ce qui est considérable dans le cadre d’un scrutin présidentiel).

On ne comprend pas bien. Il y a certes un décalage évident entre les thèmes que Sarkozy tente d’imposer – sécurité, immigration, etc. –, que Marine le Pen surexploite et les préoccupations des Français, dont tous les observateurs estiment qu’elles sont de nature économique et sociale. Mais à gauche, avec fortune, force et talent divers, Hollande et Mélenchon n’arrêtent pas de marteler sur le même clou. Certes le zapping médiatico-politique est plus que jamais dominant. Une pseudo proposition chasse l’autre. On vit ce que le sociologue Eric Fassin dénomme « le temps du poisson rouge » [[Libération, 22 mars 2012]] dans lequel Nicolas Sakozy se coule en permanence. « Privé de toute mémoire, celui-ci [le poisson rouge] ne s’ennuie jamais. Il tourne en rond, dans un présent pur, sans passé et sans avenir », ajoute-t-il. C’est vrai, incontestable, mais en même temps d’autres signes marquent la campagne qui indiquent, au contraire, une réelle mobilisation politique citoyenne. On pense d’abord à la dynamique suscitée par la campagne de Mélenchon que l’on ne peut résumer à une seule fonction tribunicienne. Par ailleurs, le succès de cette campagne en dit autant, sinon plus, sur le camp qui la mène que sur les faiblesses et les insuffisances du PS.

Il y a autre chose – et moins polémique – mais aussi significatif : dans le même numéro du Monde qui faisait largement allusion au débat fiscal, l’économiste Thomas Piketty, avec d’autres collègues, publiait une tribune intitulée : « M. Hollande et M. Sarkozy oublient l’inégalité fiscale. Créons un impôt unique et progressif sur les revenu » [Le Monde, 31 mars 2012]]. Contribution importante de Tomas Piketty dont les travaux ont inspiré le programme fiscal de François Hollande – sans doute un des meilleurs chapitres de ses propositions – même si ce dernier ne va pas au bout des suggestions de son inspirateur. Piketty, dans son intervention, faisait remarquer que le site [www.revolution-fiscale.fr qu’ils avaient lancé pour appuyer leurs propositions avait reçu plus de 500000 visiteurs. Voilà qui devrait, d’abord, inspirer la stratégie des candidats et l’humeur des commentateurs fixés et figés, les uns et les autres, sur l’incertaine ligne bleue des sondages

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