On reste dans la campagne présidentielle puisque le Festival du Cinéma du Réel, un des plus grands rendez-vous du cinéma documentaire, qui se déroule à Paris, organisait, pour la circonstance, un débat dont le thème était « filmer la scène politique et ses acteurs ». Débat de fond et débat d’actualité. « L’image du politique en action est omniprésente dans les médias et filmer la figure politique revient à filmer la mise en scène qu’elle organise de son image », notaient en introduction les organisateurs du débat qui m’avaient invité avec d’autres réalisateurs centrés sur ces questions. Parmi les intervenants, Jean Louis Comolli, également théoricien du cinéma et Marie José Mondzain, philosophe de l’image, deux regards pointus et féconds.
Avec des accents différents, nous étions tous d’accord sur ce constat : il est de plus en plus difficile, sinon impossible, de filmer le politique, et en particulier le pouvoir, en tous cas, hors des formes imposées, aseptisées par la télévision et le pouvoir lui-même. Double contrainte qui se renforce l’une l’autre. C’est un paradoxe : l’écran regorge d’images sur la politique mais pour l’essentiel, on ne filme plus la politique mais la mise en scène de la politique par elle-même et dans des codes dictés par les médias. Le « bruit et la fureur » de la politique, quand il y en a, devient le plus souvent un théâtre d’ombres. La politique, avec son lot de croyances, d’espérances et d’utopies sans lesquelles il n’y a pas même pas de réforme possible semble vidée de sa substance. Ou alors elle maîtrise elle-même son image désincarnée et se dérobe aux formes d’expression et de création qui pourraient l’interroger ou la contester.
L’image privatisée du politique
Et, pour revenir à cette campagne présidentielle, comment ne pas souligner une pratique qui n’est pas nouvelle mais qui se généralise : la fabrication des images des candidats, toutes tendances confondues, et de leurs meetings est désormais confiée à des sociétés privées, généralement rodées en matière de spectacle et de divertissement et qui fournissent aux chaînes des images lisses et préfabriquées, excluant toute surprise, et évidemment à la gloire de leur sujet et commanditaire. Nous disions, tous, dans ce débat qu’il est de plus en plus difficile de filmer la scène politique, en tous cas de près. Pour nous qui filmons et pour vous, spectateur, qui prenez place dans ces images, il faut toujours retrouver la distance et les formes différentes qui rendent compte du réel. Mais que les candidats ne s’inquiètent pas, cela ne passera pas par la télévision mais par ce cinéma documentaire qui est, en lui-même, un acte de résistance au langage dominant des médias audiovisuels.