« Mathématiquement, politiquement, on le fait mais… » Dans le « mais », il y a toute l’insidieuse angoisse de l’électeur de gauche qui se confie comme pour conjurer le sort. A 48 heures de l’ouverture des bureaux de vote, tous les sondages indiquent un effritement de Hollande (de 52,5 à 53,5 %) qui conserve cependant une avance confortable. Tous les indicateurs sont favorables : une dynamique qui ne s’est jamais démentie, une victoire psychologiquement importante dans le débat, une déclaration d’intention de vote de François Bayrou en faveur de François Hollande qui ne changera pas fondamentalement le rapport de force électoral mais qui peut jouer sur les marges (et les marges ne sont pas à négliger). Oui, « on le fait…mais on ne sait jamais ! ». Alors la mobilisation se poursuit jusqu’au dernier moment comme y invitait hier encore à Toulouse un François Hollande, présidentiel en diable.
Le superbe dessin de Kroll dans Le Soir de ce 4 mai 2012
Je me souviens de toutes les campagnes présidentielles suivies depuis 1974, et en dehors de celle de 1981 – mais il s’agissait alors de « changer la vie »-, je ne me rappelle pas d’une telle tension où la perspective de la victoire n’arrive pas à éteindre la peur de la défaite. Il ne s’agit pas cette fois de lendemains qui chantent mais de rejeter dans les ténèbres des lendemains qui horrifient. Ce matin, dans sa chronique de Libé, Pierre Marcelle résumait un sentiment partagé : « Qu’il se casse, qu’il dégage, maintenant…Pour se convaincre de voter contre Nicolas Sarkozy, il n’est que de fermer les yeux et imaginer ce que seraient – outre la nuit noire de notre accablement- les lendemains bruns de son élection ». Il faut avoir entendu, hier encore à Toulon, le discours de haine de Sarkozy, haine contre la gauche, contre l’étranger, contre l’autre, pour mesurer jusqu’où il peut assumer –et légitimer un peu plus encore – les « valeurs » du front National. Le racolage des électeurs d’extrême droite se noie dans le nauséabond. Jamais, sans doute, depuis les années 30, la droite parlementaire ne s’était compromise à un tel point avec l’extrême droite. Même s’il ne s’agit « que » de basse tactique électoraliste, Sarkozy a pris une responsabilité écrasante en offrant la clef de la recomposition de la droite au Front National. Il a ainsi démenti le lieu commun des politologues qui affirment toujours que, vu le parcours et les conditions d’accession à la fonction présidentielle, celui qui y parvient ne peut être sans qualités d’homme d’état.
Il faut savoir gré à François Bayrou d’avoir fait, au nom de ses propres valeurs, un choix difficile pour lui. Peut-être pense-t-il dans le lointain à des possibilités d’union nationale ou à de grandes coalitions. Sans doute, de ce point de vue, a-t-il pris date mais dans l’immédiat (qui pour lui ne sera pas facile politiquement) – et l’urgence- sa dénonciation de la course poursuite de Nicolas Sarkozy avec le Front National avait « de la gueule ».
Jamais sans doute, dans l’histoire de la Ve République, le choix n’aura été aussi vital. Ce n’est pas seulement l’affrontement gauche/droite qui est au centre des préférences de dimanche prochain, c’est aussi la question « du vivre ensemble » dans la République.